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Éditorial

La dernière livraison d’eContact! porte sur le Toronto Electroacoustic Symposium (TES) de 2012. Organisé conjointement par la CEC et New Adventures in Sound Art (NAISA), la 6e édition du symposium accueillait Trevor Wishart à titre de conférencier. Au sommaire de ce numéro, des articles traitant de différentes approches théoriques et créatrices, de collaborations et de travaux de recherche des membres du milieu international de l’électroacoustique, et plusieurs entrevues et rubriques.

Un des points forts du TES 2012 était la conférence du compositeur anglais Trevor Wishart, auteur de On Sonic Art: The æsthetics of composition in a digital age et Audible Design. Son intérêt pour la voix comme source sonore, tant pour l’improvisation en direct que la composition, remonte aux années 1970. Red Bird (1978) et The Vox Cycle (1980) sont sans doute ses œuvres les plus connues des auditeurs en matière d’exploration des transformations de la voix. Pour Globalalia (2004), il a recueilli des enregistrements de voix du monde entier, en 26 langues différentes, dont il a extrait les syllabes individuelles et qu’il a classés en fonction de caractéristiques phonétiques et articulatoires. La collection qu’il a réalisée pour la création de cette pièce d’une demi-heure comprend plus de 8 000 sons! Avec sa composition la plus récente, « Encounters in the Republic of Heaven », où il explore certaines découvertes relatives au tempo, au phrasé et au contour caractéristiques de la façon de parler de personnes vivant dans la région industrielle du nord de l’Angleterre, il pose notamment la question suivante : est-il possible « d’extraire et de distiller, musicalement, l’essence de la voix humaine individuelle »? À partir des enregistrements réalisés dans cette région, les caractéristiques du « son d’un être humain unique » ont été extraites et appliquées au développement à grande échelle de la composition, en plus de servir à la composition de « portraits » individuels des locuteurs que l’on entend dans l’œuvre.

Rassembler, colliger, accumuler… ce type d’activité semble bien être une constante dans la vie d’un compositeur électroacoustique. Dans « Information Asphyxiation: Procrastination, distraction and the digital artist », Steven Naylor réfléchit aux conséquences de ces tâches pour le compositeur électroacoustique. En effet, ce genre d’activité semble inhérent à l’ensemble des pratiques électroacoustiques : colliger et organiser les sons pour de nouvelles œuvres (Wishart, Hall), la commande de nouvelles compositions (Hron), la création de nouveaux instruments (Jarvis), le développement de nouveaux logiciels pour créer de nouvelles pièces (Ogborn, Degazio), la cueillette de données de recherche (Basanta, Çamcı)… sans parler de la contribution de la CEC elle-même : ce numéro d’eContact! comprend douze articles, trois entrevues, cinq rubriques, cet éditorial (en deux langues), une table des matières et bien entendu quelques douzaines d’extraits sonores ainsi que de nombreuses images pour compléter ces objets numériques!

Collaboration et création

Déterminée à poursuivre l’expérience de son premier CD, Terri Hron a approfondi son exploration du processus de collaboration avec des compositeurs à qui elle a commandé des œuvres pour flûte a bec et électronique pour Bird on a Wire II. Dans « Creation Through Collaboration: An “idiomatic” performer’s perspective », Hron décrit les différents processus de travail et échanges artistiques associés à ces collaborations et qui, dans l’ensemble, représentent « la diversité des approches esthétiques, genres et technologies » que l’on trouve dans le domaine de l’électroacoustique. De telles collaborations permettent aux membres de ces projets d’échanger des idées, de partager leurs expériences tout en favorisant le développement artistique individuel.

La notion d’inclusion est également un des traits essentiels du Cybernetic Orchestra, fondé et coordonné par David Ogborn à l’Université McMaster de Hamilton. Cet orchestre d’ordinateurs portables est ouvert aux musiciens et non-musiciens et encourage tous les membres à partager leurs expériences individuelles, leur orientation stylistique et leurs intérêts. Comme le dit Ogborn dans « Scalable, Collective Traditions of Electronic Sound Performance: A Progress Report », cette approche a comme particularité de favoriser une plus grande « participation du public aux performances d’art médiatique et électroacoustique » que tout autre ensemble plus conventionnel ne réussit à le faire.

Le Cybernetic Orchestra est constitué de manière à ce que les membres puissent explorer plusieurs des idées décrites par Ogborn et créer des œuvres que l’ensemble interprètera ensuite. Cet axe « recherche-création » (Ogborn) est un des éléments essentiels de cet orchestre. En plus d’instruments inventés, dont la conception spécifique accroît la flexibilité en performance, Ian Jarvis intègre la programmation en direct (live coding), l’improvisation dirigée et la mise en réseau dans le protocole de performance de ses propres œuvres pour cet ensemble. « Orbit, a Scalable Laptop Composition » décrit un processus en quatre parties, à l’origine de quatre œuvres individuelles. L’article décrit les instruments, le processus comme tel, ainsi que les défis, techniques et créatifs, que posent ces pièces.

Dans « A Particle System for Musical Composition », Bruno Degazio décrit les applications récentes de son système logiciel de particules MIDI. Contrairement aux systèmes de particule connus (notamment la granulation), où de nombreuses structures simples et semblables sont utilisées pour simuler des textures et des événements musicaux variés et complexes, les particules individuelles du système de Degazio sont dotées d’une plus grande diversité de caractère. Par sa conception, ce système nécessite un nombre moins élevé de particules pour simuler des processus naturels complexes. Plusieurs exemples sonores illustrent différents types de résultats et les possibilités de transformation d’état et de caractère.

Positions d’observation

Trois modèles différents d’intégration de sons propres à une culture, dont la musique indonésienne (populaire et gamelan), en contexte électro-instrumental en direct sont présentés dans « The End of Digital Tourism: Aesthetics of globalization and live electro-instrumental performance » de Lawton Hall. Les moyens technologiques propres aux pratiques électroacoustiques permettent à l’artiste non seulement de capter et documenter des pratiques musicales habituellement transmises oralement, mais aussi de créer, avec une facilité incroyable, des combinaisons et des juxtapositions culturelles jusque là inimaginables. Le « sens extramusical » de telles sources est affecté entre autres par le degré d’abstraction des matériaux sources, sans parler de l’impact de ces matériaux sur le nouveau contexte où ils sont pour ainsi dire transplantés.

L’expérience individuelle et le degré de familiarité contribuent au développement d’un angle d’observation à partir duquel l’auditeur perçoit et comprend les échantillons propres à des cultures spécifiques et leur relation au contexte artistique dans lequel il les perçoit. La perception de sons propres à des lieux est également affectée par des facteurs semblables, mais aussi par la façon dont ils sont présentés, « interprétés » ou « découverts ». Eric Powell parle d’une « carte cognitive » en fonction de laquelle l’auditeur intègrerait de nouvelles expériences perceptives. Dans « Under Living Skies: Aural character in creative practice », il décrit une œuvre mixte récente où un ensemble explore en direct « les structures rythmiques, harmoniques et mélodiques extraites d’enregistrements de terrain » réalisés au lac Swede dans le nord de la Saskatchewan.

Au fur et à mesure que l’auditeur découvre et fait l’expérience d’une installation telle que Times Square de Max Neuhaus ou Performance Corridor de Bruce Naumann, il se produit un déplacement de perception du site, même lorsque la position d’observation ne change pas. Comme le constate Sean Peuquet dans « Between the Two: A Re-address of the listener in situated musical practice », l’auditeur-interprète établit des liens entre les parties distinctes d’une composition pendant qu’il en fait l’expérience et sa perception du site se transforme; de littérale (sa pure existence), elle devient fonctionnelle. Ce type de réflexion au sujet d’œuvres-installations a alimenté le travail de l’auteur sur sa composition Windows Left Open pour ensemble de chambre et électronique.

Perception

Les contributions d’Adam Basanta et Anıl Çamcı approfondissent les questions concernant les expériences perceptives et cognitives de l’auditeur. Adam Basanta a effectué un travail de recherche sur la manière dont nous écoutons, percevons et catégorisons différentes caractéristiques des œuvres électroacoustiques. Dans « Tracing Conceptual Structures in Listener Response Studies », il présente certains concepts relatifs à la position de l’auditeur-sujet, aux métaphores de lieu et d’espace, aux références culturelles et environnementales, ainsi qu’aux réactions physiques communes à la majorité des auditeurs. Cette étude des tendances d’écoute chez les auditeurs, familiers ou non avec l’électroacoustique, devrait s’avérer particulièrement intéressante pour les compositeurs qui souhaitent explorer les différences entre la perception réelle de leurs œuvres et leurs intentions initiales.

En tant que forme artistique temporelle, la musique suscite peut-être inévitablement chez l’auditeur le besoin de l’absorber et la comprendre comme une forme narrative. De son point de vue de sujet-écoutant, l’auditeur « complète le tableau » que le compositeur propose, et cette rencontre est précisément le lieu où la présentation (mimesis) se change en représentation (diegesis). Lorsqu’il rencontre de nouveaux matériaux produits à l’aide des moyens de production électroniques, l’auditeur s’appuie sur sa « grille » perceptive personnelle pour conférer du sens à ce qui est jusque là inconnu. Dans « Diegesis as a Semantic Paradigm for Electronic Music », Anıl Çamcı s’intéresse à la diégèse comme paradigme sémantique pour la musique électronique et explore la relation entre l’auditeur et l’œuvre, le lieu où les « perspectives narratologiques… [esquissent] les rapports entre l’artiste, le matériau artistique et le public », et où la coexistence des aspects mimétiques et diégétiques de la musique électronique contribue à « façonner notre expérience de la musique électronique ».

Les compositeurs sont pour leur part particulièrement bien placés pour contribuer à améliorer la compréhension des nouvelles œuvres par les auditeurs : ils sont les seuls témoins de l’ensemble du processus de création de leurs œuvres, des premiers stades d’élaboration conceptuelle jusqu’à la présentation de l’œuvre, en passant par toutes les étapes de son développement. Dans « Toward “Compositional Reflection” », Matthew Peters Warne en appelle à un dialogue plus ouvert au sujet des aspects plus intimes des pratiques artistiques des compositeurs et au partage de ces cogitations personnelles en public. L’invitation aux compositeurs à s’engager davantage vers une forme de « réflexivité compositionnelle » ne vise pas à établir des modèles d’écoute rigides, mais plutôt « à multiplier les options possibles pour l’expérience des œuvres ».

Entrevues et rubriques

Dans eContact! 14.4, nous avons publié une première série d’entrevues réalisées en 2005–2006 par Bob Gluck avec divers compositeurs du Moyen-Orient, de Chine, d’Amérique du Sud et d’Europe qui ont étudié au Columbia-Princeton Electronic Music Center avec Luening et Ussachevsky, avant de devenir des acteurs de premier plan dans les milieux de l’électroacoustique et de la musique nouvelle, dans leurs pays respectifs et sur la scène internationale. Nous poursuivons donc cette série avec des entrevues réalisées par Gluck et Shlomo Dubnov avec le compositeur et artiste irano-américain Dariush Dolat-Shahi (qui eut la tâche de mettre sur pied un centre de musique électronique en Iran, avant la Révolution islamique), et le compositeur égyptien Halim El-Dabh (dont les nombreuses années passées à enregistrer la musique traditionnelle de l’Afrique ont profondément influencé son travail de composition), de même qu’avec le compositeur israélien Josef Tal (cet « enfant terrible » qui créa le premier centre de musique électronique en Israël).

Kevin Austin complète ce numéro avec une autre série de ses « 6 questions » qu’il adresse cette fois à l’artiste sonore Ian Jarvis, ainsi qu’aux artistes médiatiques et vidéos Freida Abtan, Joseph Hyde, Pierre Paré-Blais et Jean Piché. De quoi nous ouvrir l’appétit avant la parution d’un prochain numéro sur la vidéomusique… Restez à l’écoute pour le plat de résistance!

Au moment de lancer ce numéro, les préparatifs vont bon train pour la prochaine édition du TES. Nous vous invitons donc à parcourir ces articles pour vous donner un avant-goût de ce qui sera présenté au TES 2013 (14–17 août) et nous espérons vous inciter à venir y assister en personne. New Adventures in Sound Art (NAISA) joue un rôle essentiel dans la planification, la préparation et le déroulement du TES depuis sa toute première édition. Au nom de la CEC, je tiens à les remercier pour leur aide précieuse dans l’organisation de l’événement et les féliciter pour toutes ces années où ils ont contribué au succès du milieu de l’électroacoustique de Toronto.

jef chippewa
28 mai 2013

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