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Éditorial

La neuvième édition du Toronto International Electroacoustic Symposium était présentée en août 2015 et accueillait Nicolas Collins à titre de conférencier. Des participants venus de partout au Canada et dans le monde y ont présenté leurs travaux sur des thèmes aussi variés que la création algorithmique, la pédagogie, le multimédia, la participation à une activité musicale (musicking), le tout accompagné d’installations et de performances.

Les pratiques multimédias et le corps dans la performance

La question des pratiques multimédias était un thème récurrent à cette édition du symposium, alors que les travaux de plusieurs des invités témoignaient de la convergence du son et de l’image, du son et de la sculpture ou du son et du corps. Bien que l’exploration des nouvelles possibilités et perspectives résultant de telles combinaisons offre un cadre de travail riche, fertile et inspirant, la question de l’appellation élargie et inclusive « électroacoustique » et ce qu’elle englobe comme pratiques de plus en plus nombreuses et divergentes devient de plus en plus problématique.

Le travail de Ben Pott s’inspire des premières pratiques de « sculpture acoustique », Peter Bosch et Simone Simons créent des « machines à musique », Ryan Olivier parle de pratiques « intermédias » et Brian Garbet propose le concept de « musique documentaire ». James O’Callaghan nous offre un lexique terminologique dans « Cross-Media Transcription as Composition », où il est question de « [brouiller] la distinction entre arrangement, transcription et composition », de traduction ou d’imitation entre les médias et de pollinisation croisée entre les médias acoustique et électroacoustique. Invoquant les œuvres des compositeurs canadiens Philippe Leroux, Robert Normandeau et Gordon Fitzell, il contextualise sa propre pratique consistant à utiliser les caractéristiques et les structures formelles d’une œuvre comme modèle pour une autre œuvre dans un autre média. Les rapports entre les œuvres sont toutefois assez complexes pour qu’il ne soit « pas possible de décrire l’une comme le modèle de l’autre » dans un autre média. Afin de « remettre en question et brouiller la distinction entre son et sculpture », Ben Nigel Potts a réalisé une performance multicanal en direct qui utilise le son « pour changer ou mettre en action un espace de manière nouvelle et unique ». Il étoffe son propos dans un article intitulé « A Dialogue Between the Seen and the Heard : The use of sound as a sculptural material and sculpture as a sound instrument in ‘Cuboid’ » qui s’appuie aussi sur des pratiques historiques telles que les sculptures acoustiques de Michael Brewster (que l’artiste lui-même appelle aussi « dessins sonores »).

La question de la place du corps dans la présentation d’œuvres centrées sur le son a été également abordée au symposium. Izzie Colpitts-Campbell explore la rencontre du corps et de la technologie, mais là où Potts cherche, avec ses œuvres, à mettre en action des espaces existants, elle s’intéresse pour sa part à la création d’espaces permettant une « extension de l’idée de corps ». Dans « ‘Costumes for Cyborgs_sound’ : New body experience in sound and movement », elle discute de « nouvelles formes de sons produits par le corps à l’aide de biofeedback » qui ont le potentiel de « [favoriser] l’expérience d’une nouvelle identité ». Depuis plus d’une décennie, Wendalyn Bartley explore le rôle de la voix dans la performance électroacoustique en direct et improvisée, influencée par ses pratiques du paysage sonore et de l’écoute dite Deep Listening. Elle signe « The interrelationship between body, voice, listening and the environment » où elle présente sa plus récente pièce, Gliding Slowly Back to the Body of Origin, dans laquelle elle explorait les rapports entre le corps, la voix, l’écoute et l’environnement. Pour cette œuvre, elle s’est grandement inspirée de sa lecture de Susan Griffin, de sa connaissance des pratiques vocales de Roy Hart et de ses visites de sites historiques en Grèce et à Malte qu’elle a explorés au moyen d’improvisations vocales afin « d’entrer en relation avec des couches plus profondes de la mémoire contenue dans les pierres et la terre elle-même ».

Son, contenu visuel et formes alternatives de récit

La rencontre du son et de contenus visuels en performance n’est pas nouvelle, mais nous vivons actuellement une période d’une incroyable diversité quant aux motivations esthétiques et artistiques et aux approches adoptées dans la façon dont ils peuvent être combinés. 1[1. Pour en savoir davantage sur les tendances historiques et émergentes dans les pratiques de vidéomusique, musique visuelle, art audiovisuel et plus, voir le numéro 15.4 de eContact!.] Les premières « machines à musique » que Peter Bosch et Simone Simons ont créées entre 1987 et 1990 ont des liens avec la plus récente installation qu’ils ont présentée au TIES 2015. Dans « A Fragile and Complex Sonorous System », les auteurs décrivent Mirlitones comme « un système sonore complexe et fragile » qui consiste en une série de tubes suspendus dont une des extrémités est couverte d’une membrane vibrante, mis en vibration par des « processus complexes et imprévisibles [qui] jouent un rôle déterminant dans le résultat sonore ». Dans le contexte de l’« écologie de performance » chez Louise Harris, la complexité sonore est le résultat de processus algorithmiques servant à « créer des œuvres audiovisuelles dépourvues de hiérarchie entre les médias », comme elle l’explique dans « Audiovisual Coherence and Physical Presence : I am there, therefore I am [?] ». Dans ces œuvres multimédias — conçues pour être jouées (performées) plutôt que simplement diffusées —, elle cherche à rendre compte des « tensions, conflits et résistance » implicites que l’on retrouve à l’intersection du performeur, du public et des « espaces visuel et auditif ».

Tension, conflit et résistance dans la sphère sociopolitique étaient des thèmes centraux de la présentation de Brian Garbet. La musique est utilisée depuis longtemps comme outil d’action politique et par sa création d’art sonore qu’il conçoit comme protestation artistique, Garbet souhaite contribuer à rectifier le récit tendancieux et même faux que les médias ont construit autour du mouvement Occupy Wall Street à Vancouver. Garbet propose le terme « musique documentaire » pour désigner l’approche du « documentaire sonore abstrait » qu’il présente dans « ‘Mockingbird’ : Abstracted confessions through political music ».

Pédagogie et programmation

Depuis plusieurs années, nous sommes témoin d’un intérêt grandissant au TIES pour la question de la transmission des pratiques électroacoustiques en contextes pédagogiques : comment développons-nous nos connaissances au sujet de l’électroacoustique, comment apprenons-nous à composer, à écouter et à partager notre expérience dans ce champ de pratique? Trois stades distincts du processus ont été examinés dans le cadre du TIES 2015 : le premier contact en classe (Alexa Woloshyn), l’utilisation et la définition des topos que l’on retrouve dans les pratiques électroacoustiques des compositeurs et interprètes (Ryan Olivier) et la question de la participation du public dans la présentation de l’électroacoustique (Chris Mercer et Rodolfo Veiera). Alexa Woloshyn a conçu des activités pédagogiques qui aident les étudiants dans leur apprentissage et leur appréciation d’une musique qu’ils jugent peu familière, même s’ils sont constamment exposés à cette musique dans les films, les jeux vidéos, les vidéos en ligne et plus encore. Dans un article intitulé « Moving Beyond the Weird, Creepy and Indescribable : Pedagogical principles and practices for listening to electroacoustic music in the general education classroom », elle décrit une approche qui suscite « l’ouverture à la musique électroacoustique par une forme d’écoute active que les étudiants jugent valable et utile » pour démystifier les œuvres artistiques qui emploient des sons électroniques abstraits.

Pour Ryan Olivier, la présence grandissante de contenu multimédia en concert est un autre facteur important qui contribue à l’appréciation croissante du public pour les œuvres électroacoustiques. Dans « Intermedial Cognition : Towards a method for analyzing electroacoustic intermedia through an interpretation of the topoi in Jarosław Kapuściński’s ‘Oli’s Dream’ », Olivier s’appuie sur une œuvre de Jarosław Kapuściński et parle de « contrepoint intermédial » et de « transfert de sens d’un média à l’autre ». L’utilisation accrue du multimédia en concert entraînerait non seulement la possibilité d’une « perception accrue du discours dans la composition électroacoustique au moyen de la représentation visuelle », mais également d’« un nouveau plan cognitif ». Bien que « peu de gens en dehors du domaine de la technologie musicale associent les médias numériques à la musique classique », c’est exactement l’approche que proposent Chris Mercer et Rodolfo Vieira pour accroître l’intérêt du public en concert. L’intégration de tablettes offre un grand potentiel d’amélioration de l’expérience de concert. L’expérience interactive qu’ils proposent dans « Turning the Tables : The audience, the engineer and the virtual string orchestra » pourrait notamment contribuer à résoudre le problème de « l’expérience de concert traditionnelle jugée trop passive pour les publics adeptes des technologies numériques ».

L’application de méthodes algorithmiques en composition électroacoustique subit les contraintes associées au fait que les logiciels commerciaux sont habituellement créés sur le modèle de l’enregistrement multipiste. Bruno Degazio énonce des « désidératas concernant la composition algorithmique en contexte de composition pratique » qui créeraient un cadre pour l’application de processus algorithmiques à la composition musicale de manière à permettre que des processus basés sur des formes, des comportements de nombres et la distorsion temporelle soient appliqués localement plutôt que globalement et avec transparence. Dans « Musical Behaviours : Algorithmic composition via plug-ins », il décrit les fonctionnalités d’un certain nombre de « comportements » qu’il a mis au point dans le cadre de son travail avec son « moteur de transformation » (Transformation Engine).

Entrevues

Depuis sa première édition en 2007, le TIES se déroule en tandem avec le Sound Travels Festival of Sound Art — présenté sur une base annuelle par New Adventures in Sound Art (NAISA) — dont l’artiste invité est également le conférencier principal de TIES. À l’été 2015, NAISA a réalisé plusieurs émissions de la série radiophonique Making Waves et a présenté des artistes invités à la 17e édition de Sound Travels; c’est avec plaisir que nous publions ici ces entrevues. Michael Palumbo s’entretient avec Nicolas Collins (conférencier principal du TIES), Wendalyn Bartley, Peter Bosch, Stephanie Moore et Matt Rogalsky au sujet des œuvres qu’ils présenteront au festival, mais aussi d’œuvres antérieures. De plus, nous publions « Wilfulness vs. Creative Intuition », une entrevue avec la compositrice acousmatique Elizabeth Anderson portant sur l’intention par opposition à l’intuition créative. Nicolas Marty discute avec Elizabeth de l’influence sur son travail de sa jeunesse vécue en Espagne, de son parcours scolaire atypique et de ses études à Cologne et Paris. Finalement, James O’Callaghan signe un compte-rendu de Conversations With Post World War II Pioneers of Electronic Music de Norma Beecroft, un livre numérique comprenant des entrevues que Norma a réalisées dans les années 1970 avec une liste impressionnante de compositeurs, notamment Gustav Ciamaga, Pierre Schaeffer, Iannis Xenakis, François Bayle, John Cage, Vladimir Ussachevsky, Karlheinz Stockhausen, Hugh Davies, Luciano Berio et Barry Truax.

La 9e édition du TIES, une collaboration entre la CEC, NAISA et le Centre de musique canadienne (CMC), a été un succès. Au moment de rédiger ces lignes, la planification de l’horaire pour la 10e édition du Toronto International Electroacoustic Symposium va bon train et vous pouvez déjà inscrire les dates à votre calendrier. TIES 2016 se tiendra à Toronto du 10 au 13 août 2016 au centre Geary Lane et au Centre de musique canadienne. Nous sommes heureux d’y accueillir l’artiste aux multiples facettes John Oswald à titre de conférencier. En espérant vous y voir!

jef chippewa
30 avril 2016

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