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Éditorial

La dernière livraison d’eContact! nous propose un compte rendu du Toronto Electroacoustic Symposium (TES) de 2011. Organisé conjointement par la CEC et New Adventures in Sound Art (NAISA), la 5e édition du symposium accueillait Jonty Harrison à titre de conférencier et regroupait différentes présentations sous les thèmes suivants : création, algorithmes, écoute, analyse, espace, la fonction de commissaire. Plusieurs entrevues complètent ce numéro d’eContact!.

Le discours principal de Jonty Harrison, directeur du Birmingham ElectroAcoustic Sound Theatre (BEAST), était un élément central du TES 2011. Hébergée au département de musique de l’Université de Birmingham, cette institution de recherche, composition et performance est un pilier en matière de diffusion multicanale de compositions électroacoustiques depuis plus de deux décennies. Dans « The Final Frontier? Spatial strategies in acousmatic composition and performance », Harrison présente le système du BEAST, lequel a été conçu en tenant compte des besoins changeants du milieu de l’électroacoustique et peut compter plus de 100 haut-parleurs. La diffusion est pensée ici comme une « mise en valeur de l’image sonore [enregistrée] », le système est conçu en fonction du propos artistique qu’il sert. Lorsque la pratique de la composition multicanale a gagné en popularité, une équipe de chercheurs a mis au point le logiciel du BEAST comme outil de spatialisation pour la composition d’œuvres multicanales conçu pour aider les compositeurs avant l’exécution de leurs œuvres sur un système de diffusion. Harrison n’est pas le seul à défendre l’idée selon laquelle l’espace est une dimension essentielle de la composition acousmatique et de sa diffusion; ce sujet concerne aussi bien d’autres genres et pratiques de création et de performance électroacoustiques.

Analyse et espace

Dans « Playing with the Voice and Blurring Boundaries in Hildegard Westerkamp’s “MotherVoiceTalk” », Alexa Woloshyn déconstruit et analyse l’œuvre complexe de Westerkamp sur l’artiste canadien Roy Kiyooka, œuvre que Woloshyn propose d’aborder comme réflexion autobiographique sur la création et la perception de soi et de son environnement. Au moyen d’éléments tirés de son environnement et de la nature, Westerkamp réfléchit aux liens entre elle et l’artiste, qu’elle n’a jamais eu la chance de rencontrer, et soulève des questions au sujet de la frontière entre « public et privé, soi et autre, temps et espace ». Des fragments d’enregistrements que les deux artistes ont réalisés d’eux-mêmes et de leurs mères forment une trame dense où des univers temporels et culturels distincts se rejoignent dans des préoccupations communes.

Depuis le milieu des années 1980, Henry Gwiazda emploie une gamme extrêmement variée de sons, des enregistrements de terrain aux sons du quotidien, avec lesquels il crée des tableaux cinématiques surréels. Dans « The Choreography of Noise: Analysis of Henry Gwiazda’s “buzzingreynold’sdreamland” », Bijan Zelli explore l’emploi de différentes techniques dans la création de scènes holophoniques, de mosaïques et de collages surréels — chorégraphies sonores — où des relations entre des sonorités très contrastées sont créées en fonction du timbre et des hauteurs plutôt que par association par ressemblance. À l’aide du logiciel Focal Point, Gwiazda crée des œuvres stéréophoniques qui façonnent un espace tridimensionnel à l’aide de deux haut-parleurs, le positionnement vertical et horizontal des sons étant un aspect essentiel de ce travail de collage.

Alors que le positionnement du son est composé dans les œuvres de Gwiazda, et réalisé manuellement en cours de performance dans les concerts de musique électroacoustique, à l’aide d’un système de diffusion à plusieurs haut-parleurs, la particularité du travail de Darren Copeland avec son « projecteur audio » (The Audio Spotlight in Electroacoustic Performance Spatialization) tient au fait que la source de reproduction sonore elle-même est mobile et peut être déplacée pendant la performance. Le « projecteur audio » est installé sur une base pivotante ou fixé au corps de l’interprète pour être ensuite « dirigé » vers les surfaces réfléchissantes de la salle et permettre ainsi de « positionner » les sons de manière sélective dans l’espace. Portatif et abordable, et déjà employé dans des espaces tels que le Tate Modern et le Centre Pompidou, le « projecteur » laisse entrevoir des possibilités stimulantes pour la performance électroacoustique dans de tels espaces…

Instruments et performance

L’un des thèmes les plus fréquemment abordés dans les colloques et conférences est probablement celui des nouveaux instruments et contrôleurs, ce qui témoigne de la diversité des besoins et des champs d’intérêt des membres de la communauté électroacoustique internationale. Dans « Electroacoustic and Computational Feedback Synthesis », Campbell Foster présente un instrument qu’il a mis au point, qui allie électroacoustique et informatique et permet la production de sons complexes imitant les caractéristiques de systèmes naturels. La théorie de la régulation (control theory), les fractales et l’analyse de phénomènes itératifs de la nature sont à la base de la conception de cet instrument, dont les principaux éléments sont une plaque de métal et des boucles de feedback informatiques alimentées par des haut-parleurs.

Tomás Henriques signe « Sonik Spring », où il présente le « ressort sonore », un instrument et contrôleur manuel qu’il a conçu à l’échelle du corps humain. Cet instrument offre des fonctions de génération, de traitement et de lecture de sons, mais son application peut également s’avérer utile à l’évaluation médicale des personnes ayant des troubles neurologiques, notamment par le suivi de mouvement des patients. La contraction et la détente du ressort permettent de modifier la longueur et la forme de l’instrument, et ses mouvements sont transposés aux différents modes de performance : lecture de sons, traitement et cognition.

Matériaux et technologies

L’acquisition de matériaux sonores, par la collecte ou la production, est un autre champ d’activité qui occupe les mains et l’esprit des compositeurs électroacoustiques de manière constante. Wiska Radkiewicz et Andrea Cohen ont conçu le «  Soundson Project » il y a plus d’une dizaine d’années, un projet Web qui offre une interface permettant à divers collaborateurs de travailler à la composition collective de nouvelles œuvres. Les utilisateurs du monde entier peuvent participer au projet, affranchis des contraintes de distance et des barrières linguistiques. Les technologies numériques actuelles et Internet rendent de tels projets manifestement moins laborieux que ce n’était le cas dans le passé. Les expériences de collaboration des deux auteures, à l’époque où elles devaient s’envoyer sans cesse des supports physiques par la poste ont inspiré ce projet.

Les technologies mises au point dans le cadre du Generative Electronica Research Project sont utilisées pour générer des rythmes, des figures et des formes pour des pièces de musique électronique. Dans « Towards a Generative Electronica: A Progress Report », Arne Eigenfeldt décrit le système conçu par le GERP. Des calculs de probabilités de simultanéité instrumentale et d’écoulement temporel basés sur l’analyse de pièces représentatives de divers courants de musique de danse servent à assurer le potentiel créatif du système informatique qui produit des œuvres compatibles avec les modèles stylistiques qui les ont inspirées.

À l’instar d’Eigenfeldt, Ben Ramsay observe des similitudes croissantes depuis le début des années 2000 entre les milieux de l’acousmatique et de la musique dite « Intelligent Dance Music » (IDM), non seulement en matière de technologies et de techniques employées, mais aussi en terme d’approches compositionnelles, bien que les musiques ainsi produites peuvent être passablement différentes. Pour Ramsay, ces échanges sont de bon augure. Dans « Tools, Techniques and Composition: Bridging Acousmatic and IDM », Ramsay soutient que les milieux académiques et de danse ne peuvent que profiter du rapprochement entre l’acousmatique et l’IDM, notamment en mettant l’accent sur ce que les courants ont en commun depuis déjà longtemps plutôt que sur leurs différences, comme c’est bien souvent le cas.

Un effet secondaire déplorable de l’omniprésence des technologies dans nos vies est la pression constante que nous subissons tous, artistes ou non, jeunes et moins jeunes, qui nous incite constamment à mettre à niveau, mettre à jour, moderniser ou renouveler… Le « risque » qui guette celui qui résiste à cette pression sociotechnologique est le doute ou même la peur de ne pas être de son temps, progressiste ou d’avant-garde. Dans « Electroacoustic Ageism », Steven Naylor invite les artistes à refuser de cautionner aveuglément les différentes formes d’« âgisme électroacoustique », qu’il soit chronologique, technologique ou stylistique, et de s’employer à maintenir l’accent sur les œuvres créées avec les outils technologiques plutôt que de fétichiser ces derniers.

Entrevues et rubriques

En plus des articles consacrés au TES, ce numéro comprend « Performing Music for Piano and Electronics », une entrevue avec le pianiste britannique Philip Mead réalisée par Xenia Pestova. Bien connu pour son interprétation d’œuvres mixtes, Mead est à l’origine de nombreuses commandes d’œuvres pour piano et bande (ou électronique), dont le Tombeau de Messiaen de Jonathan Harvey. Toute discussion d’œuvre mixte par un interprète aborde inévitablement des questions d’interprétation non seulement des parties instrumentales, mais également des parties électroniques des pièces et cette entrevue n’échappe pas à la règle. 1[1. Nous vous invitons à explorer davantage ce sujet en consultant eContact! 13.2 — Claviers + « live electronics » : la perspective de l’interprète (avril 2011), sous la direction de Sebastian Berweck.]

En 2005–2006, Bob Gluck a réalisé des entrevues avec un certain nombre de compositeurs du monde entier (Moyen-Orient, Chine, Amérique du Sud, Europe) qui ont non seulement étudié pour la plupart au Columbia-Princeton Electronic Music Center, à l’époque de Luening, Ussachevsky et Babbitt, mais qui ont également contribué de manière déterminante au développement de l’électroacoustique et de la musique nouvelle dans leur milieu respectif. Ces entrevues seront publiées dans ce numéro d’eContact! ainsi que dans les prochains numéros, ce qui permettra de dresser un portrait des activités de ces individus dont plusieurs ont choisi d’œuvrer à l’extérieur des centres historiques de l’électroacoustique (Paris, Cologne, New York). Cette série d’entrevues commence donc avec deux collègues de classe au Columbia-Princeton, le compositeur israélien Tzvi Avni (Go Find Your Own Tricks!), fondateur du studio de la Jerusalem Academy, et le compositeur turc İlhan Mimaroğlu (Uptown and Downtown, Electronic Music and “Free Jazz”, Ankara and New York), qui a travaillé à l’enregistrement du fameux Free Jazz d’Ornette Coleman, ainsi qu’une entrevue avec le compositeur iranien Alireza Mashayekhi (A New East-West Synthesis), fondateur de l’Orchestre iranien de nouvelle musique. On s’attend assurément à de nombreuses anecdotes sur la période de leurs études à New York…

Le numéro se termine par un retour sur le Toronto Electroacoustic Symposium, avec la rubrique « 6 questions » de Kevin Austin qui s’est adressé aux directeurs, ancien et actuel, du symposium, David Ogborn et Emilie C. LeBel.

Nous espérons que ces articles sur le TES 2011, ainsi que les entrevues et rubriques complémentaires, sauront vous plaire et nous vous donnons rendez-vous pour la parution d’un prochain numéro sur l’édition 2012 du symposium.

Au nom de la CEC, je tiens à remercier tous ceux qui ont participé au TES 2011 (planification, organisation, coordination, présentations et performances), et tout particulièrement New Adventures in Sound Art (NAISA) dont le travail extraordinaire contribue à faire de cet événement un succès depuis 2007. Restez à l’écoute pour en savoir davantage sur l’édition 2013 du TES qui se tiendra en août.

jef chippewa
21 mars 2013

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