Problèmes courants, interventions et résultats
Voir précédent :
5. Problèmes audio courants
6. Interactions avec les compositeurs
6.1 Mastering et production commerciale
Le monde de la production professionnelle a tôt réagi aux problèmes d’exportabilité, en fait dès qu’on a réalisé que ces problèmes étaient un facteur de risque important au niveau des coûts de production. Les disparités entre les écoutes des studios, par exemple, ont été responsables d’une variété extraordinaire de douloureuses remises en question, de conflits entre équipes, de mixages parallèles, et même en bout de ligne de retours de produits, de bris de contrats, de poursuites judiciaires, etc. Des situations aussi extravagantes que coûteuses ont été rapportées : un album dont le mixage s’éternisait durant des mois, à telle enseigne que la compagnie de disques envoyait les huissiers se saisir des bandes maîtresses, des équipes de production entières se transportant d’un continent à l’autre, avec armes et bagages, pour « remixer la caisse claire », etc.
Grâce à sa structure corporatiste fortement hiérarchisée, le monde commercial a tout simplement imposé, au fur et à mesure qu’elles sont parvenues à maturité, les diverses solutions reliées au mastering, évoquées entre autres au début de cet article et ailleurs. (3) Ces changements ont été appliqués sans véritable débat, mais avec comme argument de poids… une amélioration spectaculaire de la qualité des productions.
Les réalisateurs et producteurs ont rapidement intégré le fait que le studio de mastering était un passage obligé, et, après un premier contact souvent traumatisant avec la franchise des nouveaux monitorings de référence, se sont mis à coopérer pleinement avec les ingénieurs de mastering, (4) voire souvent à considérer que leur travail se terminait avec le mixage, et que les étapes suivantes étaient tout simplement prises en charge par des personnes ayant des compétences très spécifiques. (5) Une spécialisation des tâches s’en est suivie, qui a permis d’objectiver les problèmes et de se concentrer sur les solutions.
6.2 Mastering et production électroacoustique
En électroacoustique, le contexte de travail ne permet pas cette objectivation : les compositeurs sont souvent responsables du financement de leur production, et de ce fait, le pouvoir de décision demeure entre leurs mains, à une multitude de niveaux. Après avoir eux-mêmes composé, enregistré et mixé leur album, ils ont à approuver le résultat d’un mastering fait par une personne différente. Une situation manquant totalement de détachement, beaucoup trop liée à une variété de points sensibles pour le bien du produit, et où chaque traitement, chaque égalisation appliqués au mastering peuvent être perçus par certains comme une véritable remise en question de leur compétence en amont.
Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une insécurité bien précise, centrée sur l’impact sonore des pièces. Le contenu en hautes fréquences est ici particulièrement critique : victimes d’un préjugé tenace, beaucoup de compositeurs préfèrent « en avoir un peu trop » — ce qui agressera à coup sûr les auditeurs — plutôt que de risquer de « manquer de punch ». L’impact recherché ici est une transposition abusive de l’approche « mur de son », souvent utilisée en concert, et elle-même de plus en plus considérée comme dangereuse pour la sécurité de l’auditoire. L’expérience montre que les systèmes installés dans les foyers ne disposent généralement pas d’une réserve de puissance suffisante pour reproduire ce type d’effet sans générer une distorsion importante, capable de rebuter très rapidement même les plus enthousiastes. Le mastering doit utiliser des approches plus subtiles et plus variées pour générer et surtout conserver l’intérêt des auditeurs, tout en respectant leur confort d’écoute.
Dans tous ces cas, qui ne sont heureusement pas majoritaires, le mastering devient le théâtre d’une dynamique à forte charge émotive, comportant des phases dont il peut être utile d’esquisser la structure.
6.3 Réactions
À l’audition des premières pièces masterisées, l’image plus stable, le meilleur équilibre spectral sont responsables d’une réaction initiale d’enthousiasme de la part du compositeur, réaction qui devrait en principe… tout simplement préfigurer la réponse des auditeurs. Bien que beaucoup de compositeurs, encore une fois, se contentent de cette assomption, d’autres sont tentés de faire une vérification minutieuse des changements apportés au mastering, à coups de comparaisons A/B avec le mixage original. En particulier si cette comparaison est effectuée dans le studio de mixage, (6) on commencera à noter des passages où « c’était mieux avant », contredisant ainsi l’impression holistique initiale.
Une liste de demandes de corrections ponctuelles lui est envoyée, qui place l’ingénieur de mastering dans une position particulièrement délicate : il doit répondre aux demandes du compositeur, qui est son client, mais il est aussi tenu de l’aviser que ces corrections ne sont pas seulement autant de retours en direction de la version originale, mais aussi, pour la plupart, de véritables reculs par rapport aux avantages obtenus au mastering.
S’ensuit alors souvent une ronde de négociations fort étranges, où chaque décibel d’égalisation — ou plus précisément d’élimination d’icelle — devient l’enjeu de tractations à l’issue desquelles une version de compromis est obtenue, qui peut être n’importe quoi, à partir d’un hybride entre le mastering et le mixage original, jusqu’à une réplique presque identique de ce dernier.
Dans plusieurs cas, cependant, dont celui qui est rapporté dans l’article sur le mixtering, le compositeur finit par avoir des doutes sur cette démarche, et se transporte dans un autre lieu d’écoute. Il découvre alors avec surprise que la version masterisée est plus solide…
Il n’y a pas d’autres solutions à ce problème que celles qui ont déjà fait leurs preuves en production commerciale : professionnalisation, spécialisation des tâches, dissémination d’information et de savoir-faire.
7. Session de Mastering de « Yellow Flowers » (Freida Abtan)
La demande qui a été formulée avec le plus d’insistance a été celle de détailler une session de mastering, étape par étape, à l’aide de captures d’écran et d’exemples audio. Il peut sembler paradoxal de fournir pareille démonstration tout en insistant par ailleurs, tout au long du chapitre sur le « mixtering », sur le fait qu’il est de loin préférable, pour les compositeurs, de ne pas intervenir au niveau des égalisations et du contrôle dynamique, de manière à préserver la qualité audio et à laisser toute la latitude nécessaire au mastering. Or, en montrant précisément ce qui est fait lors d’une session de mastering :
- on expose et on démystifie un processus considéré par certains comme mystérieux et vaguement menaçant ;
- on informe la communauté des compositeurs sur une étape essentielle du processus de production ;
- on indique précisément aux compositeurs quels sont les processus qu’il vaudrait mieux ne pas appliquer aux niveaux du montage multipiste et surtout du mixage…
En effet, il faut rappeler qu’aucune des décisions détaillées ici ne peut se prendre sans danger à moins de disposer :
- d’un monitoring (contrôle acoustique + haut-parleurs) calibré selon les standards utilisés en mastering professionnel ;
- d’outils d’égalisation et de contrôle de la dynamique de très haut niveau ;
- d’une longue expérience en mastering.
7.1 Analyse initiale
La compositrice Freida Abtan, dont l’album « subtle movements » était en cours de masterisation, a accepté de prêter son concours à cette idée d’une transcription intégrale d’une session de mastering. La pièce Yellow Flowers a été choisie en raison de la variété spectrale et dynamique de son matériel. (7) Cette session a été livrée en « stems », (8) ce qui normalement est la garantie d’une certaine qualité. Cependant, il faut noter que la pièce a été montée au départ en tant que piste audio d’un vidéo. Une bonne partie du processus de montage a donc été entreprise directement dans un logiciel spécialisé pour le vidéo, qui fonctionne à la fréquence d’échantillonnage de 48 kHz. Le matériel audio source étant à 44,1 kHz, un certain nombre de conversions de fréquence d’échantillonnage ont été faites à l’aide des algorithmes disponibles, dont la qualité semi pro laisse toujours des « artefacts ». Manière polie de dire qu’ils sont responsables d’un son appauvri et de clicks à la tonne… Les plus évidents de ces défauts ont été corrigés, mais il en demeurera toujours un certain nombre, plus ou moins audibles selon la précision des systèmes d’écoute.
Tous les processus démontrés ici sont présentés de manière cumulative : un exemple audio démontrant l’effet de la bande 1 d’un égalisateur ne contiendra que l’effet de cette bande, mais l’exemple suivant, démontrant l’effet des bandes 2 et 3 du même égalisateur contiendra en fait l’effet des trois bandes mentionnées. Il est à noter que la compositrice était présente durant toute la session et a approuvé les interprétations subjectives d’intentions initiales, et chacune des étapes correctives.
Il peut arriver qu’une session livrée en stems présente une qualité audio telle qu’il soit possible d’en entreprendre le mastering directement au niveau du master, en n’intervenant sur les stems individuels qu’en cas de conflit occasionné par le traitement global. Un exemple serait de trouver que relever de 3 dB le niveau global de la bande 2 à 2,5 kHz serait idéal pour l’ensemble, sauf pour le stem « x », qui deviendrait alors trop agressif. Sans stems, il faudrait se contenter d’un relèvement de compromis de 1,5 dB. La présence de stems permettra, soit de travailler le niveau ou l’égalisation du stem « x » de manière à pouvoir maintenir ce relèvement global idéal de 3 dB, soit d’appliquer le relèvement à tous les stems sauf au stem « x ».
Dans d’autres cas, le son est dès l’abord plus problématique, et on décèle la présence de problèmes de nature variée d’un stem à l’autre. Il faut alors commencer par analyser et corriger de manière spécifique chacun des stems avant de passer à l’étape du traitement global. C’est la marche à suivre qui sera adoptée pour cette session.
Écoutons la piste de référence (voir Fig. 1, piste 14 en rouge), présentant la somme de tous les stems avant mastering. Si le découpage en stems a été fait avec rigueur, cette somme est en principe en tous points identique au mixage initial effectué par la compositrice :
Voici les défaillances générales qui ressortent de cette écoute :
- les éléments sonores semblent tout petits ; l’ensemble n’a aucune ampleur ;
- le profil fréquentiel présente un certain nombre de trous béants ;
- la représentation spatiale est confinée, fragmentaire et incohérente ;
- les agressions sonores et les résonances insistantes dominent ;
- le son a un côté granuleux et hésitant ;
- l’absence d’impact est notable au niveau des transitoires et des crescendi.
7.2 Traitement des stems
Stem 8 : « Slowed Bells »
Nous commençons par ce stem (Fig. 1, piste 11), pour la simple raison qu’il est présent tout au long de la pièce et qu’il en est l’élément sinon central, du moins unifiant. Après vérification de l’uniformité fréquentielle et dynamique de l’ensemble du stem, un extrait représentatif est choisi (entre 02:00 et 02:30) pour servir d’exemple audio :
- le son est mince, et ne génère aucune sensation d’espace défini ;
- au niveau de l’intention, pourtant, la compositrice confirme sa volonté originale de produire un son grave et plein, se développant dans un espace très vaste.
Un égalisateur dynamique est introduit. Les figures 2 à 5 ci-dessous montrent le détail de son action, bande par bande.
La bande 1 est utilisée sur le mode statique. C’est un relèvement de 12 dB @ 117 Hz, portant sur une gamme large. L’ajout peut paraître considérable, mais il est à noter qu’il n’occasionne aucun effet des effets de boursouflement ou de résonance qu’on aurait pu redouter. En voici l’application :
La seconde bande fonctionne sur le mode dynamique, comme le démontre la capture d’écran suivante (Fig. 3).
Noter que l’effet est inversé, ce qui signifie que le relèvement de 6,5 dB @ 317 Hz n’intervient que sous le seuil de -44,4 dB. Un effet d’ampleur est obtenu, mais on évite d’affecter les attaques, ce qui à cette fréquence aurait provoqué une distorsion désagréable. Le résultat :
La bande 3 est aussi entièrement dynamique, mais fonctionne cette fois-ci au-dessus du seuil :
Ici, on cherche à mettre en valeur l’attaque, tout en évitant le relèvement du médium durant la phase de descente. Ceci explique aussi pourquoi le temps de relâchement (release) a été allongé à 569 ms. À noter que les bandes 2 et 3 fonctionnent à l’inverse l’une de l’autre, ce qui ajoute de l’intérêt et du mouvement au son :
Deux constatations restent à faire à propos des hautes fréquences :
- la présence minoritaire, mais effective, de bruit et d’artefacts dans cette région ;
- la nature des transitoires, qui est en nette opposition avec le contexte subjectif produit par ce son : les effets appliqués sur ce stem provoquent une image de cloches lointaines, de dimensions moyennes mais aux parois épaisses, frappées mezzo forte avec des maillets recouverts de feutre. Or la présence de transitoires dans les extrêmes aiguës vient contredire à la fois la notion d’éloignement et la nature même du coup de bâton, qui paraît être fait d’une matière plus dure et exécuté forte.
La bande 4 a été utilisée avec succès pour contrer ces problèmes :
De manière à conforter la sensation d’espace, on a ajouté, par la procédure habituelle de bus d’envoi, un effet de réverbération à ce stem :
L’effet de réverbération choisi n’est pas du type éclatant, et ne vise pas à ajouter un voile de hautes fréquences au son, mais plutôt à créer une impression sous-jacente de lenteur et de majesté. Noter l’utilisation de la fonction « crossfeed », qui inverse les réflexions initiales des canaux gauche et droit. Ceci renforce l’illusion de mouvement dans l’espace artificiel créé :
Stem 1 : « Accents »
Ce stem (Fig. 1, piste 1) est constitué d’événements très courts, dont celui-ci, pris vers 00:25, est le plus long :
Quels sont les problèmes ?
- un manque de fraîcheur et de définition ;
- les sous graves, à peine suggérées dans l’original, semblent pourtant partie intégrante du mouvement sonore.
Puisque les événements constituant ce stem sont très courts, et que les besoins en coupure ou relèvements fréquentiels sont les mêmes tout au long de leurs portions attaque et relâchement, on optera pour un égalisateur passif, dont voici les deux premières bandes en action :
Le seul effet contraire au relèvement massif de 18 dB des fréquences sous 67 Hz (bande 1) est un léger — et prévisible — boursouflement, sitôt corrigé par la coupure de 4,5 dB dans les basses (bande 2). Voici le résultat :
Bien que les fondements de ce son aient été restitués par ce traitement des sous graves, le phrasé en demeure passif et donne une impression de mollesse. Une partie de l’action est escamotée, et on situe ce manque dans le bas médium, qu’il faut relever :
Le mouvement dynamique interne est maintenant tangible : le relèvement à 369 Hz a conféré au pic de chaque vague une impulsion active, clairement identifiable dans ce clip :
Les bandes 4 et 5 s’attaquent aux hautes fréquences :
La bande 4 contribue à « accélérer » le mouvement perçu en corrigeant un manque de définition dans le haut médium : 3,5 dB @ 1,27 kHz. Le relèvement des extrêmes hautes (bande 5) peut sembler un peu excessif en soi mais a semblé immédiatement nécessaire après confrontation avec l’ensemble des stems :
Stem 2 : « Backwards Strings »
Cet extrait (02:20 à 02:45 ; voir Fig. 1, piste 2) du stem 2 avant traitement pose les problèmes suivants :
- boursouflement dans les basses ;
- résonance insistante dans le médium ;
- les vagues manquent de définition dynamique. L’effet dramatique escompté tourne court ;
- le son est mono, ce qui lui confère une immobilité spatiale en contradiction flagrante avec la dynamique suggérée de vagues roulantes.
Une première intervention dans les graves est illustrée ici :
Le contrôle (bande 2) de la fondamentale @ 87 Hz, beaucoup trop dominante, laisse place au relèvement des très basses fréquences (7 dB sous 54 Hz, bande 1). Ce relèvement met en valeur l’effet « à l’envers » du son. Le mouvement est à la fois plus dynamique et plus explicite :
La figure 11 montre, entre autres, le nettoyage de la fréquence résonante (642 Hz, bande 4), dont la présence posait en fait deux problèmes :
- elle conférait une qualité nasale au son ;
- elle introduisait une incohérence dans le placement dans l’espace : en donnant une impression de forte présence, elle contredisait l’impression subjective d’une masse s’éloignant tout en s’étendant. Une fois la fréquence responsable estompée, on ne sent plus d’ambivalence, ni dans la distance ni dans le mouvement apparent de l’objet sonore.
Une autre disponibilité est aussi créée, que nous mettrons à profit en agissant sur le bruit de déchirure qui intervient durant chacune des vagues. Il ne s’agissait évidemment pas de rendre cette déchirure plus présente, ce qui aurait encore une fois contredit son placement dans l’espace, mais seulement de lui donner corps et vraisemblance, par un relèvement de 6 dB @ 161 Hz, visible en bande 3. L’effet dynamique de vague roulante est encore précisé :
Le stem est encore, bien sûr, mono. Nous allons contrer cela en lui ajoutant le même effet de réverbération que pour le stem 8 (voir Fig. 6). Encore une fois, l’effet peut sembler un peu forcé lorsque le stem est écouté isolément :
…mais en contexte, ce dosage l’amène tout juste au-dessus du seuil de perceptibilité. La figure 12 montre que, pour la partie tenue finale de l’extrait, l’envoi vers la réverbération est coupé, de manière à dégager les lentes modulations de volume de cette fin de phrase. Une légère remontée du gain compense pour la perte de volume subjectif causée par cette coupure.
Stems 3, 4, et 5 : « Bell Group »
Ces trois sons (voir Fig. 1, pistes 4–6) de clochette sont similaires. Il est décidé de les traiter uniformément via un sous-groupe : l’extrait avant mastering est tiré de la section entre 00:51 et 01:09.
- le son tinte exagérément dans le haut médium, mais il manque de la présence dans les extrêmes aiguës à laquelle on aurait dû s’attendre ; la sensation d’inadéquation est évidente ;
- le son est petit : ceci ne qualifie pas les dimensions physiques de la source, mais pointe plutôt vers une prise de son peu experte ;
La figure 13 montre le travail des bandes 1 et 3. Les bruits de manipulation sont éliminés par le passe-haut @ 217 Hz, tandis que le corps est restitué par un relèvement significatif de la plus basse fréquence présente, 424 Hz. L’événement en perd son côté terne, et acquiert un caractère bondissant plus en accord avec sa nature manifeste :
Il reste à traiter la partie supérieure du spectre :
La bande 4 élimine une résonance désagréablement dominante @ 2 kHz. Le son acquiert transparence et légèreté. Il est maintenant possible d’en apprécier à la fois le corps et les attaques. La bande 4 relève les extrêmes aiguës, pour redonner un caractère de haute-fidélité qui faisait défaut ici. La petitesse semble maintenant subjectivement attribuée à l’objet source, et non plus à la prise de son, comme auparavant :
Une fois réinséré dans le contexte global, cet ensemble se révèle toutefois encore un peu timide, en particulier pour la partie centrale de l’extrait, qui est issue d’un stem séparé. Nous allons relever les transitoires aiguës de ce stem — et non plus du sous-groupe tout entier — à l’aide d’un processeur de transitoires multibande :
Seules les deux bandes supérieures sont affectées : à partir de 6 kHz (bande 4), et, avec moins d’intensité, pour la bande 3, entre 3,3 et 6 kHz. À la différence d’un expandeur, cet outil identifie les transitoires via une analyse du temps de montée. Le résultat est une amélioration notable de l’audibilité des transitoires, mais strictement limitée aux extrêmes aiguës, ce qui nous assure un rendu d’une bien plus grande délicatesse. Le même processus, essayé auparavant sur le mode pleine bande, n’avait amplifié qu’une désagréable attaque dans le haut médium.
Stem 6 : « Drone »
Le point de départ est situé entre 01:12 et 01:43 (voir Fig. 1, piste 8). Les problèmes :
- le manque de très basses fréquences est flagrant, et il n’y a pas matière à un relèvement propre et efficace de cette région spectrale via un égalisateur ;
- les fréquences moyennes sont dominantes, et deviennent désagréables durant le plateau central ;
- l’intention est de produire un effet grave et menaçant, mais l’effet n’est pas convaincant.
Puisqu’il ne semble pas possible de simplement relever les sous-graves du stem original par égalisation, on soumettra une copie du stem à une transposition à l’octave inférieure sans changement de longueur. Le gain de la nouvelle piste sera unitaire, mais on aura soin de baisser le volume de l’octave supérieure de 4,5 dB durant le plateau :
Ceci permet de conserver la dynamique du plateau, tout en en contrôlant le contenu en médium. Le résultat ne présente pas de boursouflement et peut donc être utilisé tel quel.
Stem 7 : « Screaming Bird »
Les deux sons présents dans ce stem (voir Fig. 1, piste 10) sont issus de la même source, bien qu’ils aient été traités différemment. Ils auront vraisemblablement besoin de traitements communs et de traitements différenciés.
On entend un léger crissement dans les extrêmes aiguës, commun aux deux extraits. Le second extrait (Audio 22b), quant à lui, présente deux problèmes supplémentaires : une résonance insistante dans le très haut médium, et la présence, dans les graves, d’un bruit qu’on pourrait associer à un frottement de cordes capté par un microphone rapproché. Ces deux caractéristiques démentent la sensation de distance que les autres signifiants de ce son semblent suggérer.
Nous utiliserons un suppresseur de bruit pour contrôler le crissement (Fig. 17). Le crissement disparu, une certaine rondeur se manifeste dans le son, qui rend le premier extrait immédiatement utilisable :
Le deuxième extrait est encore désagréable. Un égalisateur passif sera utilisé ici (Fig. 18). Un passe-haut sévère ampute tout ce qui se trouve sous 1,86 kHz. La résonance insistante dans les aiguës est aussi traitée par la bande 3 : -15 dB @ 4,1 kHz. L’effet de rapprochement est éliminé, ce qui dissipe toute confusion quant à la qualité distante et éthérée de cet extrait. La bande 5 est un passe-bas @ 11,5 kHz. Il est intéressant de constater que, malgré cette coupure de 10 dB, on a la sensation d’avoir dégagé les extrêmes aiguës, et de les percevoir plus clairement :
Stem 9 : « Space »
Il y a d’autres versions de cet événement, disséminées tout au long du stem (voir Fig. 1, piste 12), mais les problèmes en sont partout les mêmes, extrêmement typiques d’une proportion, hélas respectable, des productions électroacoustiques reçues en mastering :
- le son est à la fois granuleux, perçant et tonitruant ;
- le haut médium domine inconsidérément ;
- les basses fréquences n’ont pas de présence ; elles se manifestent de façon épisodique, qui semble presque due au hasard ;
- l’espace est occupé de manière vague et imprécise ;
- parce que l’essentiel du son est concentré dans l’agression, toute correction équivaudra à un compromis difficile ;
Un égalisateur dynamique est introduit. Son action se détaille ainsi :
La bande 1 est entièrement dynamique et consiste en un relèvement de 15 dB @ 46 Hz. Le seuil est élevé, de façon à ce que tout le son soit ainsi traité à l’exception des pics les plus forts. La bande 2, centrée autour de 400 Hz, agit de manière mixte : +6 dB sur le mode statique, et un 6 dB supplémentaire au-dessus du seuil. La présence structurante d’une fondamentale est ainsi renforcée, donnant une qualité vocale et dynamique à un son qui n’était auparavant défini que par ses éléments bruitistes : grondements indéfinis dans les graves et agressivité dans le haut médium.
Les deux autres bandes complètent le travail :
La bande 3, entièrement statique, élimine sans nuance (-13,5 dB…) une des sources principales d’agression de ce stem, située autour de 2,1 kHz. La bande 4 joue un rôle similaire à 12,5 kHz. Elle n’est qu’aux 2/3 dynamique, ce qui permet de conserver une certaine présence dans les aiguës durant les passages plus doux.
Il est à noter qu’après égalisation sévère, le stem était encore très dominant par rapport aux autres éléments du mix. Nous avons alors baissé son volume de 4,5 dB. Ceci est une situation privilégiée : si l’événement avait été présenté seul, cet avantage supplémentaire n’aurait pas été disponible. Voici le résultat :
Stem 10 : « Watery Sound »
- on entend, au début et à la fin de chaque vague, des sous-graves très agréables bien que trop timides ;
- il y a aussi des résonances irritantes dans le médium ;
- l’enveloppe « naturelle » du son a été rendue irrégulière et imprécise par une égalisation incorrecte.
Il importe de d’abord étendre cette enveloppe à ses extrémités en redonnant du corps aux sous-graves (Fig. 21). La bande 2 fait précisément cela par son relèvement radical de 18 dB @ 44 Hz, seulement tempéré encore plus bas par la bande 1, qui est un passe-haut sous 26 Hz :
Les bandes 3 et 4 s’attaquent aux fréquences plus élevées (Fig. 22). L’enveloppe dynamique est « égalisée » par le relèvement @ 345 Hz et la coupure @ 2,2 kHz. La gestuelle suggérée par le son est rendue de manière beaucoup plus précise, et le mouvement semble même en quelque sorte accéléré :
Une distorsion audible, accompagnée de clicks, demeure, dont il faudra s’occuper (Fig. 23). La bande 5 est un compromis fâcheux, dont le prix est élevé par rapport à des résultats somme toute mitigés : une partie de la fraîcheur dynamique est perdue, tandis que le son demeure entaché de défauts apparents.
7.3 Traitements « master »
Le dernier stem une fois corrigé, il est temps de faire un bilan du travail effectué en écoutant la somme de tous les stems traités :
Cet extrait, de 00:58 à 01:46, s’avère assez agréable, mais son volume subjectif est insuffisant, non seulement par rapport à ce qui se pratique en ce moment en électroacoustique, mais surtout en comparaison avec les autres pièces déjà masterisées de l’album dont Yellow Flowers fait partie.
Puisqu’il est évident que le gain à appliquer avant limitation devra être considérable, il faudra envisager une étape intermédiaire de compression multibande, faute de quoi la limitation risque d’être audible (Fig. 24). Malgré le fait que les paramètres de compression soient identiques pour chaque bande, et que le seuil de compression soit élevé, une certaine finesse a été perdue, ce qui est habituel en compression master :
On peut récupérer une partie de cette finesse avec un expandeur, qui malgré les apparences ne viendra pas atténuer l’effet du compresseur, puisqu’on aura pris soin d’en régler le seuil sous le niveau fixé pour celui du compresseur (Fig. 25). La situation du contrôle dynamique est donc la suivante :
- le compresseur atténue au-dessus de -12 dB ;
- entre -12 et -15 dB, la dynamique est laissée telle quelle ;
- l’expandeur atténue en dessous de -15 dB.
La différence entre les rapports de compression (2:1) et d’expansion (1:1.03) peut sembler considérable, mais ce genre de différence est typique et procure en bout de ligne des niveaux d’atténuation équivalents :
Le volume global est maintenant augmenté. On procède à un léger rebalancement des stems pour prendre ce changement en compte, puis on introduit le limiteur « mur de brique » (Fig. 26). Sa tâche est de ramener la pièce à un niveau global comparable à celui du reste de l’album, tout en limitant le plafond à un maximum absolu de -0,3 dB. À noter que le deux canaux sont liés pour cette opération, qui se passe en mode pleine bande, alors qu’ils ne l’étaient ni pour la compression ni pour l’expansion, plus indétectables puisque travaillant en mode multibande. Étape ultime, un dither vers 16 bit est appliqué. Le résultat final :
On peut entendre la pièce complète masterisée ici :
Ne pas oublier de faire la comparaison essentielle avec le point de départ :
Notes
- Voir Dominique Bassal, « Guide de production des stems », eContact! 6.3 — Questions en électroacoustique / Issues in Electroacoustics (2004). En français et en anglais (pdf) .
- © Martin Leclerc et Laurie Radford pour les extraits originaux, et © empreintes DIGITALes pour les extraits des versions masterisées.
- Voir Dominique Bassal, « La pratique du mastering en électroacoustique », eContact! 6.3 — Questions en électroacoustique / Issues in Electroacoustics (2003), pp. 11–14.
- id. p. 14
- id. p. 39
- id. p. 50
- Bassal, « Guide de production des stems » (pdf)
- Bassal, « Guide de production des stems » (pdf)
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