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Éditorial

Bonjour à tous et bienvenue à cette nouvelle livraison d’eContact!. Je suis heureux d’avoir été invité à diriger ce numéro portant sur un sujet qui m’est cher, la musique (en particulier pour clavier) avec traitement électronique en direct (ou live electronics que l’on emprunte souvent à l’anglais).

La pratique du traitement électronique en direct n’est pas nouvelle et bien que l’appellation « live electronics » est maintenant assez répandue, aucune définition fixe n’a encore été réellement proposée (il n’y a toujours aucune entrée pour le terme « live electronics » dans le Grove). Une pièce pour support fixe est-elle une pièce de live electronics? La diffusion d’une pièce pour support fixe peut-elle être considérée comme une pratique de live electronics? Appuyer sur le bouton d’un lecteur CD constitue-t-il une activité musicale? Ou seulement lorsque cette action est réalisée sous la forme d’un geste musical? L’installation de haut-parleurs est-elle une activité musicale? Certes, le choix de haut-parleurs peut constituer une forme d’interprétation. Mais si l’on peut dire que des considérations musicales sont à la base de la décision d’un pianiste qui choisit parmi trois pianos celui qu’il utilisera pour un concert, il ne nous viendrait pas à l’esprit de dire qu’il « fait de la musique » lorsqu’il accomplit cette tâche, encore moins qu’il « interprète » l’œuvre. Et que dire d’un interprète qui n’aurait entendu la partie électronique d’une pièce qu’il doit interpréter qu’assis dans la salle lors de la générale, c’est-à-dire dans des conditions différentes de la performance puisque le point idéal d’écoute est loin d’être l’endroit où l’interprète se trouve sur scène lors de la performance. Ce pianiste interprète-t-il réellement la pièce ou ne fait-il qu’en exécuter la partie de piano?

Pour ce numéro d’eContact!, nous emploierons l’expression live electronics pour désigner la pratique qui consiste à utiliser en direct un instrument sur scène, et qui comporte une part d’interaction entre l’interprète et l’ordinateur. Par interaction, nous entendons ici davantage que le simple fait d’appuyer sur le bouton de lecture au début d’une pièce. Au mieux, il s’agira du début d’un processus basé sur une décision musicale, qu’elle soit prise en direct par une personne ou qu’elle ait été programmée à l’avance par une autre personne et qu’elle imite donc en quelque sorte le processus de prise de décision.

Nous ne prétendrons pas donner une image définitive de ce qu’est la musique pour piano et électronique en direct ni en retracer l’histoire complète; il s’agira plutôt d’en proposer une lecture. Nous verrons le point de vue d’interprètes, de compositeurs, de gens dont l’action se situe entre ces deux pôles et d’experts tels que des archivistes et des techniciens. On pourrait penser que les interprètes et les compositeurs parlent de la même réalité : la musique qu’il rende vivante, mais il en est autrement. Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple du théâtre. Deux dramaturges qui se rencontrent parleront sans doute de leurs techniques d’écriture et des thèmes qu’ils abordent. De leur côté, deux acteurs discuteront des moyens d’incarner leurs personnages, de leur interaction avec les autres acteurs, de leur façon d’apprendre les textes. Pour le dire sans détour, lorsqu’ils se retrouvent ensemble, ces deux groupes parleront davantage des repas de la cafétéria du théâtre parce que c’est tout ce qu’ils ont en commun. Il en va de même pour les compositeurs et les interprètes. Les interprètes en savent généralement bien peu sur la composition, tandis que les compositeurs cherchent à réaliser des idées, parfois sans égard pour les interprètes. Nous devons prendre conscience du fait que les compositeurs et les interprètes vivent dans des mondes distincts, et que les interprètes commencent tout juste à trouver leur propre voix pour exprimer leurs préoccupations au sujet de la musique avec traitement électronique en direct.

Nous sommes heureux d’avoir pu réunir dans ce numéro d’eContact! les textes de certains des meilleurs interprètes de musique pour piano et traitement électronique en direct. Pour ma part, il est particulièrement rafraîchissant de constater que mes collègues rencontrent les mêmes difficultés que moi, et que nous avons toujours été confrontés aux mêmes problèmes depuis les débuts des pratiques de musique avec traitement électronique en direct. Et bien que les possibilités technologiques qui s’offrent à nous s’accroissent, il semble que peu de choses ont changé au fil des ans, du point de vue des interprètes. Dans « The Game Changer: Playing with electronics as soloist », je trace un portrait général des différences entre les pratiques « normales » d’interprétation et l’interprétation de pièces pour instruments et traitement électronique en direct. D’autres pianistes ont également contribué à cette question : Rei Nakamura décrit le processus de création d’une nouvelle œuvre en collaboration avec le compositeur dans « My Cyber Chamber Music Partner: A Project for piano, electronics and video », et Sarah Nicolls propose quelques idées dans « Getting Started with Live Electronics ». Dans « An Innovative Opportunity », Catherine Vickers s’adresse à nous non seulement comme interprète, mais comme organisatrice du festival de musique pour piano et traitement électronique en direct Piano+. À la lecture de ces textes, on s’aperçoit bien que les interprètes et les compositeurs ne parlent pas de la même chose lorsqu’ils parlent de musique.

Du point de vue des compositeurs, nous avons rassemblé des contributions couvrant une multitude de projets, d’idées novatrices et même, dans le cas de compositeurs particulièrement courageux, d’idées qui n’ont pas fonctionné comme prévu. Michael Beil (« AV — Music and Video ») et Ludger Brümmer (« Extending the Piano ») traitent de l’intégration en direct de la vidéo en performance, une autre étape sur le chemin vers la Gesamtkunstwerk, réalisée ici par un interprète unique! Dans « Max/MSP vs. the iPhone: Two compositional approaches to the use of live electronics », Hans Tutschku discute de ses efforts pour simplifier le dispositif de performance en utilisant des téléphones mobiles iPhone et des haut-parleurs portables. De manière semblable, on pourrait résumer ainsi l’approche d’alcides lanza dans ses compositions pour piano et traitement électronique telles que « plectros III » : « opter pour la simplicité ». Fernando López-Lezcano a pris une direction diamétralement opposée; il est actuellement le seul à pouvoir maîtriser son « Very Fractal Cat ». La pièce « Mutations (megamix) » de Robert Ratcliffe, conçue avec l’aide de Jon Weinel pour la programmation et créée par Zubin Kanga, nécessite également un dispositif complexe. Ces deux pièces prétendent pouvoir être jouées par un interprète externe dans le futur. Les difficultés associées aux nouvelles technologies peuvent parfois entraîner la disparition d’une composition (le sort d’un trop grand nombre d’œuvres!), comme en témoigne Joan Riera Robusté dans « Piano, Sensors and Live Electronics: The Performer’s Perspective ».

Dans « In Vitro Oink », Christopher Jette parle de sa stratégie consistant à utiliser la très populaire console Wii comme contrôleur supplémentaire pour le pianiste, et David Plans Casals décrit son approche de l’ordinateur comme partenaire d’improvisation dans « Gravikords and Pyrophones: The Reflexive piano ». Cette dernière option paraît plus simple qu’elle ne l’est en réalité, puisque l’idée d’un ordinateur capable de réactions musicales ne sous-entend rien de moins que l’adoption du paradigme de l’intelligence artificielle.

Manfred Stahnke n’utilise pas d’ordinateurs comme tels, ou plutôt, il se tourne vers une forme plus ancienne d’ordinateur. Si l’on peut dire qu’un synthétiseur DX de Yamaha n’est au fond rien d’autre qu’une sorte d’ordinateur, c’est comme un véritable instrument que Stahnke l’emploie. Dans « Partch Harp », il questionne les différences entre les deux et réfléchit sur ce qui définit réellement un instrument de musique et pourquoi nous ne disons pas « Oh! un instrument! » à la vue d’un ordinateur. C’est là qu’entre en jeu Thomas Wenk qui décrit son travail de composition avec, et pour, magnétophones à cassettes, dans « Analog Zombies or Retro Nostalgia? The Second Life of cassette recorders as musical instruments ». À la vue d’un magnétophone à cassettes, nous ne nous écrions pas non plus : « Oh! un instrument! » Pourtant, qu’est-ce qu’un magnétophone à cassettes, sinon un instrument électronique, capable de produire et de reproduire des sons au moyen de l’électricité?

Le DX7 et le magnétophone à cassettes ont également en commun de ne plus être produits, maintenant ou plus tard. L’obsolescence guette également les programmes informatiques créés pour les compositions contemporaines : les logiciels devront être utilisés avec de nouveaux équipements une fois que la production de l’équipement d’origine aura cessé. Et ce n’est pas une mince affaire, comme quiconque peut en faire l’expérience en essayant d’installer sur un ordinateur actuel un logiciel conservé sur disquette. De nombreuses institutions sont aux prises avec ce problème. Dans « The Digital Mind: Challenges and possibilities of digital archives and the <mediaartbase.de> project », Julia Haecker du projet <mediaartbase.de> nous donne un aperçu des problèmes auxquels les institutions d’archives sont confrontées en ce qui a trait à la préservation de notre héritage numérique.

À cette série d’articles sur l’électronique en direct, nous ajoutons quelques ressources supplémentaires sur le sujet : tout d’abord une série d’entrevues que j’ai réalisées en 2009–2011 avec les chefs de file du milieu de l’électroacoustique qui nous présentent leur approche de la question et proposent des façons de faciliter les choses. On retrouvera également la liste du répertoire pour piano et traitement électronique en direct (« The Piano and Live Electronics Repertoire List »), établie récemment par Xenia Pestova. La CEC a également préparé une page wiki, « Keyboard + Live EA [wiki] » comprenant notamment une liste d’œuvres pour piano-jouet et électroacoustique (« Toy Piano + EA Repertoire »), ainsi qu’une Bibliographie pour clavier et électronique en direct. Les lecteurs sont invités à contribuer à ces ressources.

Nous espérons que ce numéro d’eContact! contribuera à améliorer la compréhension non seulement des nouvelles tendances en composition, mais également des contraintes auxquelles sont confrontés les interprètes, compréhension qui ne peut elle-même que favoriser les pratiques d’interprétation de la musique avec traitement électronique en direct.

Bonne lecture!

Sebastian Berweck
28 avril 2011

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