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Le mastering d’Epiphanie Sequence

Quelques Réflexions

On m’a demandé de formuler quelques-unes de mes pensées sur le sujet potentiellement controversé que nous examinons dans cette édition de eContact!. Vraisemblablement, c’est parce que Dominique n’a pas trouvé trop difficile de travailler avec moi lors de la préparation d’Epiphanie Sequence en vue de sa parution sur CD chez Sargasso. (1) La polémique qui entoure l’idée du mastering d’œuvres Électroacoustiques (EA) concerne principalement le compositeur et son rôle; c’est pourquoi j’entendrai par musique EA toute composition réalisée en studio sur support fixe plutôt que la musique live ou générée en temps réel. À cet égard, il peut être utile de réfléchir aux propos que Varèse tenait en 1939, à l’aube de ce que l’on pourrait appeler la Pratique Courante de l’EA :

Quoi que j’écrive, quel que soit mon message, celui-ci atteindra l’auditeur sans être dénaturé par “l’interprétation”. Voilà comment cela se fera : le compositeur écrira sa partition à l’aide d’une nouvelle forme de notation graphique. Ensuite, il collaborera avec un ingénieur du son pour procéder au transfert direct de la partition vers cette machine électrique. Alors, on n’aura qu’à appuyer sur un bouton pour reproduire la musique exactement comme le compositeur l’aura écrite. (2)

Vu la description qu’il fait de la “partition” du futur, il semble que Varèse n’ait pas tout à fait transcendé la vieille école de la composition sur papier. Comme bon nombre de compositeurs EA, j’utilise souvent des bouts de papier pour noter mes idées et garder l’esprit clair en studio. Mais ces brouillons pourraient difficilement être considérés comme des “partitions” et encore moins être étudiés par un technicien qui réaliserait le travail. La plupart du temps, et à moins d’être commissionné par une institution telle l’IRCAM, c’est une seule et même personne qui incarne les rôles du compositeur et de l’“ingénieur” de Varèse. Je façonne mes sons soigneusement et c’est souvent ainsi que je débute le processus créatif — trouver, écouter et transformer mes sons individuellement. La composition elle-même se constitue ensuite de ces sons et de leurs modifications.

Varèse exige que sa musique atteigne l’auditeur “sans être dénaturée par l’interprétation” et je pense que le problème polémique du mastering est en fait celui de l’interprétation.

Si notre victoire est l’intégration du compositeur et de l’ingénieur, pourquoi confier sa musique à une autre personne? Si le grand exploit de notre Pratique Courante de l’EA est de s’être débarrassé des frelatages de toutes sortes amenés par les exécutants, conducteurs et autres musiciens, pourquoi s’encombrer d’un ingénieur en mastering? Ne serait-ce pas une erreur et n’ajouterais-je pas ainsi des distorsions liées à “l’interprétation”, manquant de “reproduire la musique exactement comme le compositeur l’a écrite” ? Anathème!

Voilà, je l’ai fait. J’ai fait masteriser ma musique (3) : est-ce temps de m’excommunier, fidèles de l’EA ? Prenez le temps de délibérer. Varèse utilise le mot “collaboration” pour décrire la relation entre les deux personnalités de compositeur et d’ingénieur qu’il idéalise. J’ai senti le besoin de collaborer avec quelqu’un pour préparer correctement les trois pièces qui constituent la version CD de Epiphanie Sequence et recourir à un professionnel me semblait logique ; j’ai donc fait appel à un ingénieur en mastering.

Plusieurs ajustements étaient nécessaires: l’une des pièces avait été produite dans un studio différent des deux autres et il y avait par conséquent des différences de niveaux et d’égalisations. En fait, les trois compositions comportaient une variété de déficiences dans ce domaine, en plus de devoir être amenées de 24 à 16 bits. C’est à des problèmes semblables qu’il me semblait devoir remédier avant que les œuvres ne soient véritablement prêtes pour leur publication et j’ai trouvé adéquat de travailler avec une personne ayant de l’expérience avec les tâches à accomplir, qui sont celles de l’ingénieur en mastering.

Lorsque le travail a débuté, j’ai réalisé que Dominique m’offrirais bien plus que des remèdes et des réparations, et voila où s’inscrit la question de l’interprétation. Dominique était en mesure de rendre tel passage plus imposant, tel autre plus brillant, présent ou agressif; un pouvoir qui se rapproche dangereusement de celui du compositeur. Ce que j’aime chez Dominique c’est qu’il est lui-même compositeur EA, ce qui lui permet de faire des suggestions astucieuses et s’intégrant parfaitement à la Pratique Courante de l’Art. J’ai choisi de travailler avec lui plutôt qu’avec quelqu’un sans expérience de l’EA pour cette raison. Mais quant est-il des moments d’intensité qui deviennent trop intenses ou des passages subtils qui sont trop présents? De petits changements peuvent produire un effet papillon sur la perception de la pièce et le fait d’avoir une perspective supplémentaire peut représenter un atout pour comparer perception et intention. D’ailleurs, j’invite souvent des amis compositeurs dans le studio pour écouter mon travail et recueillir leurs commentaires: j’ai travaillé d’une manière similaire avec l’ingénieur en mastering, seulement cette fois-ci c’est Dominique qui procédait aux réglages nécessaires à ma place. En plus, la grande expérience que Dominique a accumulé lui a permit de rapidement trouver des solutions qui m’auraient échappées.

Alors, que faire des moments trop grands ou présents ? Que faire de l’“interprétation” ? Revenons au concept de “collaboration” de Varèse. Lorsque certains moments devenaient trop ceci ou cela, nous avions l’occasion de discuter de mes intentions initiales, d’évaluer si elles étaient bien réalisées et sinon, de trouver les moyens d’arriver aux fins que je me proposais. Parfois, mon intention de départ n’apparaissait que marginalement dans la version avant mastering et ces “morceaux” se raccordaient dans les performances de diffusion. Avoir à sa disposition une autre paire d’oreilles et de mains qualifiées lors de la phase finale du projet a ouvert la porte à la possibilité d’une collaboration pour arriver à une plus claire expression des idées du compositeur (moi !).

Joseph Anderson
Pickering, North Yorkshire, United Kingdom

References

  1. http://www.sargasso.com.
  2. Peter Manning, Electronic and Computer Music (Oxford: Clarendon Press, 1987), 14.
  3. Le mot suggère un domptage.

Autres publications de l’auteur

“Center for Experimental Music and Intermedia 35th Anniversary Celebration.” Critiques Web, Computer Music Journal, (1999).

“Some Thoughts on Music heard in Bangor.” Sonic Arts Network Journal of Electroacoustic Music, Vol. 11 (mai 1998).

“Two Concerts at the 27th International Festival of Electroacoustic Music” (Bourges, France). Critique. Computer Music Journal Vol. 21, No. 4 (Winter 1997).

Publications en ligne

“What is Ambisonics and how can I get some?” eContact! 2.4 — Diffusion multicanal / Multi-Channel Diffusion. Montréal: Communauté électroacoustique canadienne, 1999.

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