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Éditorial

Électronique en temps réel, improvisation, interactivité… qu’est-ce qui permet de distinguer ces pratiques les unes des autres? Et quelles seraient leurs similarités? eContact! 10.4 s’attaque à ces questions pour le moins épineuses, sous plusieurs angles : celui de la pratique artistique, bien sûr, mais aussi historique, et pédagogique; des analyses descriptives et sociopolitiques sont également proposées.

« Certaines pratiques … semblent imperméables aux analyses vraiment concluantes » (Green)

Avant de s’embarquer dans l’établissement de leurs similarités et de leurs différences, il serait peut-être utile d’entreprendre la clarification des expressions électronique en temps réel, improvisation et interactivité, d’abord individuellement, mais aussi sous l’angle de leur relation avec l’électroacoustique. Ce ne sera pas aisé : définir de nos jours, de façon claire et pérenne, une quelconque pratique artistique implique de la distinguer de la pléthore de genres, sous-genres et ramifications de ceux-ci qui ont vu le jour depuis la seconde moitié du vingtième siècle. Car non seulement les pratiques évoluent-elles, ne se privant pas au passage de s’influencer mutuellement ou de fusionner entre elles, mais les artistes ont aussi l’habitude de s’approprier à leur gré les termes désignant ces pratiques, les redéfinissant au besoin ou tout au moins les interprétant très diversement. Danny Dursley en a fait la démonstration en compilant les réponses à la question « Qu’est-ce l’interactivité? » posée sur le forum <cec-conference>.

La variété des rôles que l’ont assigner à la technologie dans les œuvres interactives semble infinie. Utilisant ses propres œuvres comme point de départ, PerMagnus Lindborg distingue trois approches principales dans l’usage de l’ordinateur en pratique interactive : en tant qu’agent de contrôle, il est un « Hyper instrument »; partenaire dans un dialogue, il est un « Assistant expert »; et utilisé en tant qu’intelligence agissante, il est un « Musicien synthétique ». On peut déjà être porté à en conclure que l’interactivité est d’abord et avant tout définie par une forme ou une autre de relation entre l’interprète et la technologie, mais il est difficile d’établir en quoi les deux premières approches de Lindborg se différencient de ce qui se pratique également en électronique en temps réel ou en improvisation… Et comme la majorité des projets d’électronique en temps réel recourent à l’improvisation, à des degrés et selon des modalités variés, la distinction entre ces derniers ne semble pas prête à se laisser entrevoir non plus. Et pour rendre la situation encore plus absconse, on pourrait citer quantité de genres musicaux aux siens desquels on ne s’entend pas non plus sur la frontière précise entre interprétation et improvisation.

Pourrait-on tout au moins se concentrer sur les aspects communs entre les trois pratiques? La présence d’un interprète semble être un point de départ acceptable : elle est effectivement ce qui les distingue toutes trois, dans la plupart des cas, des pièces présentées exclusivement à partir d’un support… si l’on accepte de reporter à un autre jour la discussion du cas spécifique de la diffusion!

Le corps et l’interface

Plusieurs artistes contemporains, inquiets de la dichotomie entre ce qui est vu et ce qui est effectivement entendu (Bernal et Pais), ont développé des outils et des interfaces qui prennent en compte les aspects « corporels » des performances basées sur des ordinateurs portables, de l’électronique en temps réel, etc. « La corrélation entre le mouvement et le son » est, pour Alex Nowitz, un facteur important dans l’acte de communiquer « les spécificités de l’acte créatif ». C’est pourquoi il utilise en spectacle une interface basée sur des contrôles à distance Wii pour parvenir à un contrôle gestuel de sa voix et de l’appareillage électronique.

Un autre point commun entre les trois pratiques réside dans l’interdépendence étroite entre la nature de l’interface et le rendu audible des résultats, particulièrement dans le cas d’interface numérique conçu par le compositeur lui-même. Élaborant sur les résultats d’une recherche portant sur l’ensemble des différences entre les instruments acoustiques et audionumériques offertes aux musiciens improvisateurs, Thor Magnusson and Enrike Hurtado notent « concevoir un instrument n’est pas toujours fondamentalement différenciable de la composition musicale en elle-même ». Cette interconnectivité se manifeste dans la façon dont le trio d’improvisation Endphase, (Bernal et Pais) aborde la création d’une nouvelle pièce, en tenant compte des condition acoustiques de l’espace dédié à la performance ainsi qu’à « la fonction originale de cet espace ».

Dans les œuvres interactives liées à un site spécifique d’Agostino Di Scipio, c’est littéralement le corps des visiteurs participants qui, au même titre que la configuration globale du site, influe sur le résultat final. On emploie sans hésiter ici le terme interprétation pour décrire ces interactions, aussi décrites comme « sources de comportements dynamiques ». Owen Green part des œuvres de Di Scipio et de John Bowers pour définir l’interface en tant que mesure de « valeur en musique électroacoustique », tout en clamant l’absence de neutralité des outils technologiques choisis ou requis pour présenter une œuvre : ces outils sont non seulement lourds de sens au plan sociopolitique, mais participent aussi activement à l’élaboration de l’identité de l’œuvre.

Le projet APART est à la fois une étude et un projet musical. Produit par Franziska Schroeder et al, il présente les résultats d’une « analyse de l’interaction musicale sous réseau » : on tente ici de déterminer quels sont les effets des interfaces en réseau sur l’exécution de standards du Jazz, mais aussi d’improvisations libres.

Improvisation? Composition?

Les pratiques qui nous occupent sont encore liées par le fait qu’elles produisent toutes trois des œuvres qui pourraient être exécutées à plusieurs reprises avec des résultats sensiblement différents dans leur articulation, tout en conservant une « structure sous-jacente de matériaux, idées et approches qui demeure constante » (Bernal et Pais; voir aussi Nowitz), qui les rendent reconnaissables d’une performance à l’autre. Cela dit, les exemples abondent aussi d’approches créatives ne pouvant par nature produire qu’une exécution unique et  non répétable de l’œuvre : les installations interactives liées à un site spécifique, par exemple, ou encore les improvisations intégralement « libres ». Un des intérêts de ce type d’improvisation serait d’ailleurs, selon Gordon Fitzell, d’ordre pédagogique, qui a fondé le XIE (eXperimental Improvisation Ensemble) dans le but d’aider ses étudiants en composition à développer une créativité et une musicalité à la fois subjectives et tactiles.

Arne Eigenfeldt, de son côté, opère une distinction claire entre l’improvisation par ordinateur et la composition en temps réel. Il réfléchit sur la façon don't le compositeur peut penser l’ordinateur  comme un outil « d’improvisation à l’intérieur de l’acte compositionelle » et a mis au point un logiciel intelligent susceptible d’aider à la composition en temps réel, qu’il a baptisté Kinetic Engine.

Perspective historique

La partition écrite a rempli des rôles variés dans l’histoire de la pratique électroacoustique : Aki Pasoulas nous en donne un aperçu dans « An Overview of Score and Performance in Electroacoustic Music ». Il distingue les fonctions descriptives ou analytiques, qui interviennent après la composition, des fonctions purement prescriptives, jouant le même rôle que les partitions traditionnelles, sans oublier les ensembles de consignes offrant divers degrés de latitude aux interprètes, allant parfois même jusqu’à intégrer ceux-ci aux dernières étapes du processus compositionnel.

L’article de la main de  Julieanne Klein offre une autre vision historique de la musique électroacoustique. Un survol de l’histoire de l’électronique en temps réel et des logiciels interactifs est suivi de la brève description d’une poignée d’œuvres pour voix et électronique en temps réel ainsi que des compositeurs s’étant consacrés à ce mode d’expression. Cet article est d’un grand intérêt, non seulement pour les professeurs et les étudiants, mais aussi pour les vocalistes intéressés par l’électronique en temps réel.

Comptes rendus, nouvelle chronique

Justin Yang était à Belfast pour le ICMC 2008 et nous en parle. Peter Castine propose un compte rendu du SMC08 de Berlin et l’auteur de ces lignes un reportage photographique du Inventionen / SMC08.

Eldad Tsabary avait à l’origine conçu cet outil pédagogique pour ses étudiants, mais il nous l’offre maintenant sous la forme d’une nouvelle chronique, « Rediscovered Treasures ». L’occasion de réentendre des « classiques » — et des œuvres moins connues — avec une perspective parfois renouvelée… et parfois tout simplement nostalgique.

Et pour finir quelques mots en hommage à Michel Waisvisz, le créateur de The Hands récemment disparu.

En conclusion

Bien qu’un certain nombre de similarités aient été établies entre les pratiques de l’électronique en temps réel, de l’improvisation et de l’interactivité, il semble qu’on ne soit pas à l’aube du jour où on sera en mesure de formuler, dans le contexte électroacoustique, des distinctions fondamentales et opératoires entre elles. Les auteurs de cet eContact! 10.4 auront néanmoins contribué au débat, stimulé la réflexion et apporté des clarifications, peut-être pas tant au niveau de l’identité fondamentale de chacune de ces pratiques, que dans l’ensemble des problématiques que pose leur cohabitation dans l’univers électroacoustique.

Nous vous souhaitons bonne lecture.

jef chippewa, 29 September 2008. Traduit par Dominique Bassal.

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