Éditorial
La septième édition du Toronto Electroacoustic Symposium (TES) réunissait des chercheurs et des praticiens de divers horizons pour discuter et partager leurs propres réflexions sur différents aspects des nombreuses pratiques électroacoustiques — orchestres d’ordinateurs portables, développement de logiciels, pratiques de performance interactive. Les coprésentateurs du TES 2013, la CEC et NAISA, étaient fiers d’accueillir Francis Dhomont à titre de conférencier.
La septième édition du Toronto Electroacoustic Symposium (TES) s’est tenue du 14 au 17 août 2013 dans différents espaces des Artscape Wychwood Barns à Toronto. Au menu de cette édition du symposium organisé par la Communauté électroacoustique canadienne (CEC) et New Adventures in Sound Art (NAISA), quatre jours de concerts, exposés et installations, ainsi qu’un atelier consacré à la spatialisation sous la direction de Darren Copeland, directeur artistique de NAISA. C’était très excitant de se retrouver parmi ces chercheurs et artistes qui explorent autant de facettes différentes de l’électroacoustique. Ce numéro d’eContact! comprend donc une sélection de textes présentés au TES 2103. Je vous invite également à consulter le site Web de la CEC pour la liste complète des activités du TES 2103.
La séance du jeudi mettait en vedette le conférencier Francis Dhomont. Longtemps professeur à l’Université de Montréal et membre fondateur de la CEC, Dhomont a un rapport particulier avec le Canada et sa contribution au milieu canadien de l’électroacoustique est très importante. Après plusieurs décennies consacrées à sa pratique créatrice, il était fort intéressant d’entendre ses propos sur l’évolution de sa pratique et son analyse de la situation actuelle de l’électroacoustique dans sa présentation intitulée « Abstraction et figuration dans ma musique… et autres considérations ». Dhomont a émis le souhait que les praticiens électroacoustiques prennent le temps d’approfondir leur pratique artistique plutôt que de constamment rechercher la nouveauté, un sentiment particulièrement pertinent par rapport à plusieurs des présentations de cette année.
Un habitué du symposium depuis plusieurs années, Steven Naylor partage le fruit de ses observations sur différentes questions concernant les compositeurs électroacoustiques. Au cours des années passées, il s’était penché sur la façon dont l’âgisme se manifeste dans la pratique et l’étude de la musique électroacoustique, et sur la procrastination et la distraction chez l’artiste numérique. Cette année, Naylor s’est intéressé au rapport artiste-machine dans « Mastering the Mutable: Music, technology and change », où il se demande si la technologie joue un rôle subordonné dans le processus de production ou si elle ne contribue pas plutôt à transformer le langage artistique, le processus de création et le résultat final.
Cette question du rapport variable à la technologie trouvait d’ailleurs écho dans les présentations de nombreux participants qui traitaient de la place de la technologie dans leur pratique créatrice et le processus de production.
Le processus créateur était un autre thème central de cette édition du symposium. Précurseur en composition de paysage sonore, Barry Truax a commenté sa pratique compositionnelle en décrivant deux approches aux antipodes dans son travail avec le son dans « Interacting with Inner and Outer Sonic Complexity: From microsound to soundscape composition ». La performance de sa pièce Pendlerdrøm (1997) illustrait ses propos. Avec « From Sound to Score and Back: Approaches to composing with spectral data » et sa pièce Synesthesia (2013) pour électronique en direct, David Litke s’est intéressé aux approches spectrales dans la composition. Fort de sa pratique de composition électroacoustique et acoustique, Litke a partagé les fruits de sa réflexion sur l’utilisation de données de l’analyse spectrale dans le travail de composition. Autre chercheur et praticien dont la pratique est variée, Nick Collins (Royaume-Uni) s’investit activement dans la composition, la recherche, l’enseignement, la musique assistée par ordinateur en direct et l’intelligence artificielle en musique. Dans la foulée de ses travaux sur la séparation de sources en direct, Collins a présenté la pièce Supersonic Aortae (2013) et il a décrit deux plug-ins créés avec le programme SuperCollider dans « Live and Non-Real-Time Source Separation Effects for Electroacoustic Music », dont il a donné des exemples de leur utilisation dans deux pièces. Avec une communication intitulée « Lost in Transformation: Composer as translator » et la présentation de sa pièce OSCines (2013), Benjamin O’Brien a démontré différents usages du concept de « traduction » en en donnant une définition applicable à la composition musicale et en partageant des esquisses compositionnelles dérivées de ses études de traduction.
Ce fut particulièrement instructif d’entendre les compositeurs parler de manière explicite de leur travail de création à l’occasion de ces présentations, en plus des performances d’œuvres lors des concerts du symposium. Nous avons pu ainsi en apprendre davantage sur le travail de chacun des compositeurs, leurs efforts pour surmonter certains obstacles sur le plan de la création et le produit final.
Deux conférences-récitals explorant différents aspects du processus créatif ont également été présentées. Dans « CrossTalk: A Reflection on the development of an interactive performance », Michael Palumbo nous a permis de faire l’expérience d’une œuvre interactive qui « explore les façons dont le contrôle influence les rapports entre les interprètes, entre les interprètes et le public, et entre les membres du public eux-mêmes ». Palumbo a exposé en détail la création initiale de cette performance interactive et son évolution dans le cadre de présentations ultérieures. La pratique artistique et musicale unique de Michael Rhoades couvre la peinture, la photographie et la composition multicanale. Rhoades a présenté son travail de composition actuel et décrit les processus complexes en jeu dans « Hadronized Spectra (The LHC Sonifications): Sonification of proton collisions », un projet basé sur l’utilisation de données produites par la collision de protons dans le Grand collisionneur de hadrons du CERN.
Chaque présentateur a offert un point de vue particulier sur le processus créatif, ce qui nous a donné une idée de la diversité des approches compositionnelles en électroacoustique et des possibilités novatrices remarquables qui pourront être développées.
Cette année, le symposium a mis l’accent sur le développement d’outils conçus spécialement pour répondre aux besoins des artistes concernant la création et la performance de leurs œuvres; aussi plusieurs présentations portaient-elles sur le développement de logiciels. Dans « LANdini: A networking utility for wireless LAN-based laptop ensembles », Jascha Narveson présente un nouvel outil qu’il a mis au point avec Dan Trueman dans le but d’adapter la technologie et la rendre plus compatible avec la performance de pièces pour orchestre d’ordinateurs portables. Narveson et Trueman sont eux-mêmes des compositeurs très actifs aux États-Unis et collaborent entre autres avec le Princeton Laptop Orchestra (PLOrk). Compositeur de musique électroacoustique et acoustique vivant en Illinois, Daniel Swilley a présenté « MyPic: A Tool for computer-assisted algorithmic composition », dont il décrivait ainsi le principal objectif : « offrir au compositeur une interface pour décrire et orchestrer des évènements musicaux à l’aide de processus algorithmiques contrôlés par des enveloppes et des données auxiliaires. » Il a parlé de la création et de l’emploi de nouveaux outils pour réaliser ses objectifs de composition sans ajouter un nouvel environnement que le compositeur doit apprendre à maîtriser. Dans « Quince: A Modular approach to music editing », Maximilian Marcoll présente son logiciel ouvert de montage musical. Il a souligné comment les outils « non seulement aident à accomplir des tâches et offrent des choix et des possibilités, mais influencent la manière dont nous les utilisons ». Ces trois présentations illustraient le potentiel de certains logiciels qui pourraient s’avérer très utiles à bien des praticiens en électroacoustique.
Musicien électronique, réalisateur, mathématicien et artiste médiatique, Valery Vermeulen a offert une communication sur l’application des technologies relatives à la réaction émotionnelle en composition et en performance. Dans « Affective Computing, Biofeedback and Psychophysiology as New Ways for Interactive Music Composition and Performance », Vermeulen a donné un aperçu des nouvelles pratiques de composition et de performance qui utilisent « la réaction émotionelle captée à l’aide de moyens développés par la psychophysiologie, le biofeedback et l’informatique affective. » Vermeulen a donné un exposé très systématique, partant du concept d’interactivité dans les arts jusqu’aux manières pour les compositeurs et interprètes d’intégrer les émotions humaines de manière quantitative dans leur travail. Il s’agit là d’un nouveau champ d’intérêt en électroacoustique et je suis impatiente d’en apprendre davantage sur les travaux en cours de Vermeulen.
jef chippewa est connu du milieu musical comme compositeur, administrateur de la CEC et copiste. S’appuyant sur son expérience et sa connaissance de la communauté musicale internationale, il a présenté « Minature Form in Electroacoustic and (Instrumental) New Music », une introduction aux projets, concours et activités relatifs à la composition de miniatures, suivie de sa proposition de catégories de miniatures pour la musique nouvelle et l’électroacoustique. Il a terminé sa présentation avec des exemples audio illustrant chacune des catégories qu’il propose. Ayant moi-même travaillé sur des miniatures, j’ai trouvé cette présentation minutieuse et détaillée de la forme miniature des plus fascinantes.
Pour terminer, deux textes analysent le travail de Stockhausen et Calon. Mark Nerenberg est un compositeur canadien qui vit actuellement en Pologne. Il a étudié le travail de Stockhausen dans le cadre de ses études doctorales. Dans « Structure Formation: An Analysis of electronic superimpositions in Stockhausen’s “Solo” », Nerenberg nous offre son point de vue sur la tâche d’analyse de la musique électroacoustique. Dans « Analysis of Christian Calon’s “The Standing Man” », Bijan Zelli présente une analyse détaillée de cette pièce de Calon en s’appuyant sur un long travail d’étude de l’œuvre et sur des entretiens avec le compositeur. Ces deux textes offrent beaucoup d’information et proposent un nouveau point de vue sur ces deux œuvres importantes, en plus de contribuer à la réflexion sur le processus créatif.
Je vous invite à parcourir les textes contenus dans ce numéro d’eContact! et j’espère qu’ils vous donneront une idée de la diversité des pratiques électroacoustiques de notre communauté. Je souhaite également que ce numéro vous sensibilise à l’existence de cet évènement annuel et vous incite à venir assister aux présentations, concerts et évènements spéciaux de la prochaine édition du symposium. Au moment de lancer ce numéro, les préparatifs pour l’édition de 2015 vont bon train et j’ai bien hâte de voir ce que le prochain symposium nous réserve. Je tiens à remercier NAISA (Nadene, Darren, Hector et Ian) et la CEC (le conseil, jef, Yves et Kevin) pour leur travail. Des évènements de cette nature exigent beaucoup de travail, de temps, d’énergie, d’humour et de collaboration; je suis très chanceuse de pouvoir travailler avec des collègues si inspirés, attentifs et dévoués. Je tiens également à remercier les membres des comités d’organisation et de lecture, sans qui tout cela aurait été impossible. Enfin, je veux remercier David Ogborn qui a participé à la création du symposium il y a huit ans et qui continue à soutenir cet évènement et la communauté électroacoustique.
Emilie LeBel
Toronto, 29 novembre 2014
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