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Éditorial

Dans ce tout récent numéro, eContact! rassemble des articles abordant les raisons et les motivations à l’origine de la conception et du développement d’interfaces et d’instruments technologiques uniques destinés à la performance et la composition.

Le corps

On ne peut pas aborder les questions concernant la conception d’interface en les séparant des problèmes de composition et des questions théoriques concernant la nature et la finalité de notre musique. (Richard Scott)

Le rôle et la présence du corps dans les instruments et les interfaces technologiques font l’objet de bien des discussions dans le milieu de l’électroacoustique. Dans « Other Voices, Other Bodies », Erin Gee souligne le fait que même si la gamme incroyable de moyens technologiques configurables « sur mesure » en matière d’enregistrement, de performance et de diffusion suggère la possibilité d’une expérience individualisée et unique, le corps semble lui-même plus que jamais absent, en particulier dans le cas des environnements d’écoute « arbitraires et définis par l’utilisateur » où la « présence sociale ou physique » du créateur est entièrement séparée de l’entité créatrice. Ses installations récentes mettent en vedette la voix séparée du corps : la représentation d’une matérialité fragmentée par la technologie et présentée à l’aide de moyens technologiques. 1[1. Ces œuvres semblent faire écho à la position de Samuel Beckett dans L’Innommable, selon laquelle nous devons compter sur les mots, en dépit de leur caractère problématique, pour justement articuler ce problème.]

Richard Scott et Bill Thompson abordent cette question de la séparation ou de la « déconnexion » à partir de leur perspective de performeurs préoccupés par l’absence de lien entre les mouvements du performeur et le son qui en résulte dans l’improvisation électroacoustique. Présenté de manière détaillée dans « Getting WiGi with It. Performing and Programming with an Infrared Gestural Instrument: A Case Study », le travail de configuration du Wireless Gestural Instrument (WiGi) de Scott témoigne de sa conviction selon laquelle le lien entre « geste et résultat sonore » doit « s’exprimer à l’aide de la technologie, et non en dépit de celle-ci ». Pour Thompson, la dimension physique de l’exploration de « l’aspect matériel d’un instrument ou d’un dispositif, à la recherche de nouvelles possibilités sonores (…) est une expédition de recherche », une expédition qui l’a conduit récemment à créer dismantle for laptop (solo), qu’il décrit dans « Scrapyard Aesthetics and the Swansong of the Inspiron ». 2[2. Au sujet de « la synchronicité entre le mouvement et le résultat sonore », voir l’article d’Alex Nowitz dans eContact! 10.4.] Comme le fait toutefois remarquer Thompson, il est important de souligner les contraintes ou les limites qu’imposent certains instruments ou certaines technologies sur la dimension physique de la performance :

Demander à un performeur d’être plus démonstratif avec son ordinateur portable, c’est un peu comme demander à quelqu’un d’éteindre les lumières avec une touche anglaise.

Avec la création des instruments qu’il décrit dans « The CyberWhistle and O-Bow: Minimalist controllers inspired by traditional instruments », Dylan Menzies cherche à optimiser l’« empreinte » du geste dans la performance instrumentale. Cette préoccupation ne s’applique pas uniquement aux interprètes utilisant des versions électroniques d’instruments acoustiques; la moindre variation de position ou de pression détectée par les capteurs optiques peut être utilisée de manière créative dans tout le spectre de la musique expérimentale qui « compte sur une gamme étendue de procédés de synthèse allant de la sonorité authentique aux sonorités expérimentales ».

Feedback

Ce que l’interface et l’instrument « offrent » à l’utilisateur en performance, leur contribution sur le plan gestuel ou sonore, et même leur influence dans le processus de composition, est une autre question fréquemment discutée. 3[3. Nous réservons les vastes et complexes questions de l’interactivité et de l’intelligence artificielle pour une discussion ultérieure… Voir également eContact! 10.4 — Temps réel, improvisation et interactivité en électroacoustique.] L’appréciation « de la résistance et du feedback de l’objet physique » chez Scott tient sans doute entre autres de son expérience comme saxophoniste et improvisateur. Pour sa part, moins préoccupé par la matérialité que l’immédiateté de la réaction de certaines technologies de qualité inférieure (lo-fi), Risto Holopainen décrit, dans « Lo-Fi Adventures in Obsolete Media », son utilisation de magnétophones cassettes et de lecteurs de CD portables dans des pièces destinées à être interprétées et spatialisées en direct. En cette période où les technologies numériques sont omniprésentes et de plus en plus faciles d’accès, de nombreux artistes continuent de préférer les technologies de qualité moindre pour leur travail.

La mise au point d’une interface pour la performance en direct passe souvent par un processus d’aller-retour entre les intentions (et les goûts) du compositeur à l’origine de l’interface et les résultats de sa conception (ses succès autant que ses échecs), ce qui entraîne l’approfondissement de certaines idées ou de nouvelles idées concernant la poursuite de la programmation ou l’organisation du système. Ritwick Banerji considère que ce processus de développement ne s’applique pas seulement au programme (patch) qu’il a développé et « entraîné » pour l’accompagner au saxophone, mais également à certaines situations pédagogiques qu’il décrit dans « Maxine Banerji: The mutually beneficial practices of youth development and interactive music system development ». Il s’agit dans les deux cas de former « au sein d’un groupe, un membre créatif interdépendant, socialement responsable et amical », que le groupe soit composé d’agences musicales ou d’enfants. Pour Rick Nance, c’est le processus de composition qui tire profit de ce feedback. Dans son travail récent, le processus de composition d’œuvres acoustiques ou mixtes comprend trois stades (« Plastic Music, Aural Models and Graphic Representation ») : des modèles électroacoustiques agissent comme des « partitions » devant être reproduites par les instrumentistes et les résultats de ces interprétations sont à leur tour utilisés dans la composition finale.

Fonction et identité : reconnaissance et transformation

J’ai entendu bien des gens se vanter de ne pas avoir de télévision, mais je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui pouvait se vanter de ne pas avoir de table tournante. (Mike Hansen)

Les technologies désuètes et de qualité inférieure sont également au centre de la démarche de Mike Hansen; sa « déconstruction du tourne-disque » lui permet autant de produire des sons en direct que de les transformer. Son travail se situe dans le prolongement de cette tradition bien établie qui s’emploie à redéfinir la finalité de la platine tourne-disque, laquelle est passée du statut d’« appareil de divertissement » à celui d’« instrument » bien avant que le hip-hop et les DJ s’en emparent au début des années 1990. « The Turntable is Dead, Long Live the Record Player! » (« La table tournante est morte, vive le tourne-disque! ») Un autre objet domestique est le sujet de l’installation « Domestic Appliances Project #1 » de Marinos Koutsomichalis. Dans cette installation, l’instrument — ici un réfrigérateur — est le performeur; l’espace et l’environnement contribuent à « le faire parler ». De manière semblable au travail d’improvisation de Hansen, l’artiste donne voix en quelque sorte à la nature sonore de l’objet (à peine audible dans des conditions « normales »), ce qui influence la forme de l’œuvre. Une « géographie sonore » se dévoile et laisse transparaître un rapport organique avec sa source.

Instruments fabriqués (DIY)

L’article « 2006 Progress Report: The State of the Art after Sixteen Years of Designing and Playing Electroacoustic Sound-Sculptures. A detailed examination of original instruments and reflections on their cultural context » décrit le contexte et le développement de plusieurs des instruments fabriqués et des dispositifs électroniques de Mark Applebaum (mousetrap, mini-mouse, duplex maus, mouseketier). Les « improvisations transidiomatiques » qu’il réalise avec ces instruments sont alimentées par le travail qu’il poursuit dans deux autres champs d’activité musicale, la « composition non vernaculaire » et l’improvisation jazz au piano. Applebaum et Eric Leonardson sont deux inventeurs d’instruments et improvisateurs bien connus aux États-Unis; aussi un numéro portant sur les instruments et les interfaces ne serait pas complet sans leur contribution. Dans le texte où il présente son « Springboard », Leonardson offre des suggestions et des conseils au sujet de la fabrication d’instruments comme les siens. 4[4. Pour une description détaillée de son instrument : « The Springboard: The Joy of Piezo Disk Pickups for Amplified Coil Springs », voir l’article de Leonardson dans eContact! 10.3.]

Enfin, Manuel Rocha Iturbide signe « The First Retrospective of Mexican Electroacoustic Music », dans le cadre de la chronique Des communautés, une introduction approfondie aux personnes et aux institutions qui ont façonné l’histoire de l’électroacoustique au Mexique.

Plusieurs des articles de ce numéro sont également accompagnés d’extraits audio et vidéo, et leurs auteurs ont soumis de nombreuses pièces à la sonothèque en ligne SONUS.ca. Nous vous invitons à faire de l’exploration de ce numéro une expérience multimédia!

jef chippewa
13 juin 2010

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