eC!

Social top

English

Aperçu du genre électroacoustique au Québec

Je suis heureux que la CEC ait choisi de présenter ici l'article très documenté de François Guérin qui retrace avec talent et de façon exhaustive les différentes étapes de la musique électroacoustique au Québec. J'avais commandé cet article à François pour le volume 4 de la revue Circuit, «Électroacoustique-Québec: l'essor», dont j'étais l'éditeur invité et je remercie les Presses de l'université de Montréal et Copibec d'avoir autorisé sa reprise sur ce site. Il faut, je crois, rappeler que ce texte date de 1992 et qu'aujourd'hui, huit ans après, le paysage a quelque peu changé. Mais cet "Aperçu" n'en demeure pas moins un témoignage d'une rare précision et lucidité sur la situation de l'électroacoustique à cette époque.

Francis Dhomont Montréal, juin 2000


Et d'abord une citation : «Des appareils pour le moins médiocres, un aimable laisser-aller ont fait du studio de musique concrète un bric-à-brac sonore. [...] Quant aux «œuvres», elles n'ont que leur titre pour se présenter à la postérité; dénuées de toute intention créatrice, elles se bornent à des montages peu ingénieux ou variés, tablant toujours sur les mêmes effets, où locomotive et électricité tiennent la vedette : rien ne relève d'une méthode quelque peu cohérente. Travail d'amateur en pèlerinage, la musique concrète ne peut même pas [...] faire concurrence aux fabricants d'«effets sonores» qui travaillent dans l'industrie américaine du film. N'étant donc intéressante ni du point de vue sonore, ni du point de vue de la composition, on est fondé à se demander quels sont ses buts et son utilité. Le premier moment de curiosité passé, son étoile a beaucoup pâli.»

Une situation

C'est dans ces termes que Pierre Boulez exprimait son sentiment sur la musique concrète en 1958. Ce réquisitoire témoigne des violents débats qui opposaient à leurs débuts les tenants de la musique concrète et de la musique électronique, pour laquelle Boulez éprouvait une moindre aversion. Ces deux genres avaient pourtant commencé à fusionner vers 1956, lorsque les compositeurs se mirent à s'approprier indistinctement ce qui les accommodait dans les deux écoles de pensée. Depuis, l'usage, l'habitude et la convention ont désigné le résultat de cette fusion par le terme de musique électroacoustique.

Très tôt, toutefois, les moyens auxquels recourent les musiciens pour leurs compositions deviennent également ceux d'autres groupes artistiques avec des visées différentes. De plus, les outils électroacoustiques ne servent pas qu'à la création proprement dite d'une œuvre : ils deviennent aussi le véhicule pour la représenter, la diffuser, la varier et même la conserver. Ainsi ces moyens n'apparaissant que comme le dénominateur commun d'une multitude de tendances disparates, on en vient, 40 ans plus tard, à parler davantage de genre électroacoustique que simplement de musique électroacoustique.

Une présentation

Un tel parcours bute, même lorsqu'on ne considère que le seul cas du Québec, sur la difficulté de traduire cette fragmentation des idées, des ressources et des résultats. Pour la contourner, il est nécessaire de reconnaître qu'il existe plusieurs possibilités de parcours, chacun proposant un angle d'approche différent. Le lecteur, ici, pourra choisir le sien, forger son propre itinéraire à travers quatre grandes rubriques : celle des compositeurs et des œuvres à l'appui des genres qui les caractérisent; celle des divers lieux de création, d'enseignement et de diffusion, ainsi que des organismes significatifs; celle, ensuite, des autres domaines artistiques qui permettront d'observer comment les moyens électroacoustiques s'y intègrent; enfin, une dernière rubrique sur les principales manifestations du genre qui se sont tenues au Québec, ainsi que sur quelques innovations qui y ont vu le jour.

DES GENRES


Comme on l'a dit, la musique électroacoustique était au départ scindée entre les tendances concrète et électronique. De nos jours, on peut retenir six orientations différentes.

Acousmatique

Le terme acousmatique tend de plus en plus à s'affirmer pour désigner ce que l'on appelait auparavant, de manière platement prosaïque, musique pour bande seule. Dans ce genre, la musique, conservée sur un support magnétique, est diffusée au moment du concert à travers un dispositif complexe de haut-parleurs, en général répartis autour du lieu de diffusion. Le compositeur, à partir du pupitre de diffusion, peut alors intervenir sur plusieurs aspects de la bande magnétique, en ajustant les niveaux d'égalisation aux propriétés acoustiques du lieu, en enrichissant par divers mouvements spaciaux les principaux passages de l'œuvre et en soulignant les impacts des moments forts à l'aide des niveaux d'intensité. Autrement dit, il se réserve de cette manière la possibilité d'interpréter son œuvre lors d'un concert et d'agir sur le contenu a priori immuable du support magnétique 1[1. La bande magnétique habituelle tend à être remplacée dans les concerts de musique acousmatique par la cassette numérique DAT (Digital Audio Tape), d'une plus longue durée et qui offre plus de maniabilité.]. Le terme même d'acousmatique renvoie aux débuts de la musique concrète. Il traduit la position de l'auditeur placé en situation d'écoute et qui ne peut discerner la source initiale des sons enregistrés, à l'instar des disciples de Pythagore. Ce dernier, en effet, enseignait caché derrière une tenture pour que l'attention de ses disciples ne porte que sur ses seules paroles. Cela s'oppose au concert traditionnel où chaque événement sonore entendu peut être directement attribué à un musicien sur scène 2[2. Voir les articles de C. Calon, F. Dhomont, R. Normandeau et S. Roy. (N.d.E.)].

Après des débuts plutôt épars, malgré l'implication sérieuse de musiciens comme Bernard Bonnier, Micheline Coulombe Saint-Marcoux, Bengt Hambraeus, Michel Longtin, Paul Pedersen, John Winiarz, dans les années 1970, le mouvement s'est grandement accentué dans la décennie suivante. Sous l'impulsion de Francis Dhomont, arrivé au Canada à la fin des années 1970, le genre acousmatique s'est imposé de plus en plus fermement dans les programmes de concert. En témoigne, outre son œuvre important, la production (entière ou partielle) de nombreux compositeurs. 3[3. Comme Serge Arcuri, Ned Bouhalassa, Christian Calon, Mark Corwin, Yves Daoust, Jean-François Denis, Gilles Gobeil, Simon-Pierre Gourd, Claude Lassonde, Daniel Leduc, Guy Michel, Robert Normandeau, Guy Pelletier, Jean Piché, Yves Potvin, Mario Rodrigue, Stéphane Roy, Claude Schryer, Alain Thibault, Jacques Tremblay, Marc Tremblay ou Pascale Trudel.]

Au Québec, quelques groupes se sont distingués dans ce domaine. Le premier de ces groupes semble être MetaMusic que Kevin Austin fonda en 1972 et dont les activités s'étaleront jusqu'en 1977. Il réunissait, outre son fondateur, Howard Abrams, Martin Gotfrit, Dawn Luke, Ross McAuley et David Sutherland et présenta une soixantaine de concerts durant cette période. En 1973, Nil Parent met sur pied à Québec le Groupe d'interprétation de musique électroacoustique (GIMEL) avec Michel Breton, Robert Charbonneau, Marcelle Deschênes, Russell Gagnon, Yvan Laberge, Réjean Marois, Marco Navratil et Gisèle Ricard. Le groupe réalise une tournée en France en 1976 et se produira entre autres au Centre culturel canadien. Le groupe Sonde débute ses activités en 1976 sous l'impulsion de Andrew Culver, Keith Daniel, Pierre Dostie, Chris Howard, Charles de Mestral et Robin Minard. Sonde se distingue dès le départ par ses concerts improvisés avec des instruments de sa propre conception et par sa collaboration avec les milieux de l'art contemporain québécois. De ses douze années d'activité on peut ainsi retenir un disque, la sonorisation de multiples performances d'artistes québécois et celle plus particulière du film muet Nosferatu le vampire. En 1982, Kevin Austin récidive et le Concordia Electroacoustic Composers' Group (CECG) voit le jour avec Daniel Feist, Dave Lindsay, James Tallon et John Wells. Le groupe sera très actif durant la décennie avec une série annuelle de concerts, plusieurs improvisations et la publication d'un bulletin bilingue. On lui doit également la compilation et la conservation de la plus importante magnétothèque de musique électroacoustique au Canada. Plus de 1000 œuvres ont été répertoriées dans les ouvrages Q/Résonance et Q/Résonance Addendum par Jean-François Denis. Le CECG cédera la place en 1989 à l'Électroacoustique université Concordia university Electroacoustics (ÉuCuE) afin de mieux refléter la venue de nouveaux membres, dont Mark Corwin, et d'afficher une appellation bilingue. Enfin, l'apparition de l'ordinateur dans la boîte à outils des compositeurs a grandement influencé la pratique de la musique électroacoustique en direct. En particulier, les facilités offertes par le protocole MIDI 7[7. MIDI est l'acronyme de Musical Instrument Digital Interface. Il s'agit en fait d'un standard de communication de données entre différents instruments et entre instruments et ordinateurs.] ont révélé une nouvelle veine créatrice et plusieurs œuvres reposant sur ce type d'instruments ont vu le jour 8[8. Citons celles de Alan Belkin, Marcelle Deschênes, Robert Normandeau, Myke Roy, Denis Saindon, Michel Smith et Alain Thibault. Dans le sillage des instruments MIDI, on peut mentionner les interprètes Louise-Andrée Baril, Walter Boudreau, Dave Clark, Jacques Drouin, René Masino, Robert Leroux, Serge Pilon, Jean-Guy Plante et Simon Stone.]. Le MIDI-ensemble de la SMCQ naît d'ailleurs en 1990, anticipant ainsi la présence de plus en plus importante des instruments MIDI dans les salles de concert et témoignant de l'intérêt que leur accorde un grand nombre de compositeurs. Parmi eux, Sergio Barroso qui est également interprète de ces instruments, a d'ailleurs commandé plusieurs œuvres dont celles de Jean-François Denis et de John Oliver. Les musiques en direct, assistées par ordinateur ou en mode MIDI, constituent le nouvel avatar des tentatives des musiciens électroacoustiques. Ces tentatives - qui remontent aux débuts mêmes du genre - cherchent à redonner à la musique électroacoustique, à travers le rituel du concert, une dimension plus «vivante», analogue à celle perçue dans les concerts traditionnels, où la musique est servie par des interprètes sur scène, plutôt que par des haut-parleurs inertes placés devant l'auditoire. Cette pratique a supplanté celle des musiques en direct basées sur des dispositifs électroacoustiques plus conventionnels (dits analogiques).

Informatique

Les instruments MIDI utilisent l'informatique mais ils ne servent pas uniquement en concert. En effet, les premières tentatives d'introduction de l'informatique dans le domaine de la composition remontent aux années cinquante avec les essais de Lejaren Hiller, Pierre Barbaud, Michel Phillipot ou Iannis Xenakis. Plus tard, Max Mathews, aux Laboratoires Bell, concevra à l'intention des musiciens un langage de composition, Music V, dans le but de faciliter la programmation des instructions musicales à un ordinateur central par des non-informaticiens.

L'étape suivante fut celle des instruments numériques. Très puissants mais encore très coûteux; ils furent rapidement déclassés par l'arrivée du micro-ordinateur et du protocole MIDI, au grand dam d'institutions universitaires équipées à grand frais de Synclavier ou de Fairlight. Plusieurs logiciels, tirant parti de la souplesse des micro-ordinateurs et des générateurs de sons contrôlés par MIDI, ont fait leur apparition et ont relayé la majeure partie des opérations traditionnelles du studio. Un des obstacles majeurs au développement du genre électroacoustique, à savoir le coût prohibitif des équipements, s'est ainsi grandement estompé avec l'introduction de l'informatique et explique la prolifération actuelle des studios personnels et la vitalité du genre.

Au Québec, les premiers développements sérieux de l'informatique musicale ont eu lieu de 1969 à 1975, à l'Université de Montréal, avec le Groupe Informatique-Musique, fondé par Jean-Marie Cloutier, Robert Léonard, Robert Dupuy, Alain Fortin et Denis Lorrain 9[9. Le groupe accueillera d'autres collaborateurs comme Walter Boudreau, Daniel Hennequin, Eric Regener, Jean-Louis Richer et Pierre Trochu, avant de cesser ses activités faute d'avoir accès à l'ordinateur central de l'Université.]. Pourtant l'absence de moyens, et même de locaux, obligera Denis Lorrain à abandonner quelques années plus tard le projet d'implantation d'une structure d'informatique musicale à la Faculté de musique et à quitter celle-ci pour rejoindre l'Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (IRCAM) à Paris. Cependant la Faculté de musique, au moment de son transfert dans l'École Vincent d'Indy et de l'aménagement des studios électroacoustiques, acquérera un système Fairlight, puis à partir de 1988, des micro-ordinateurs et instruments MIDI 10[10. Jean Piché est chargé de l'enseignement des techniques informatiques appliquées à la musique.]. Entre temps, l'Université McGill suit un cheminement semblable. Elle équipe un studio avec le Synclavier, puis un autre studio entièrement MIDI. Bruce Pennycook y a développé un programme de cours sur les applications musicales de l'informatique.

Plusieurs compositeurs utilisent la composition assistée par ordinateur 11[11. Alan Belkin, Jean Piché, Myke Roy et Alain Thibault possèdent même des studios privés qui reposent en majeure partie sur les moyens informatiques. Eric Brown, Brent Lee, Bruce Pennycook, Daniel Scheidt et Claude Schryer ont proposé plusieurs œuvres basées sur l'utilisation de l'ordinateur en direct au concert.]. En fait, la plupart des compositeurs électroacoustiques recourent désormais selon divers degrés à la technologie numérique; celle-ci est appelée à occuper une place de plus en plus prépondérante dans la panoplie des compositeurs. En revanche, sur le plan de la recherche proprement dite, bien peu de choses s'effectuent au Québec. À part quelques tentatives isolées de Pierre Bouchard, de Lannick Dinard, de Daniel Hennequin, d'Alain Pitre ou de Martial Sauvé, c'est davantage vers Toronto ou Vancouver qu'il faut se tourner pour se faire une idée plus juste des activités de recherche en informatique musicale.

Mixte

Lorsqu'une musique sur bande intervient conjointement au jeu de musiciens sur scène, on parle de musique mixte. La bande peut être entendue en alternance avec les passages instrumentaux (comme dans Déserts d'Edgar Varèse, l'un des premiers exemples du genre), mais le plus souvent de manière imbriquée, la bande venant enrichir, prolonger ou diversifier les sonorités des instruments.

La première pièce de musique mixte au Canada est Nucléogame de Serge Garant, composée en 1955, pour flûte, hautbois, clarinette, trompette, trombone et piano. Bien sûr, les musiques mixtes font appel aux combinaisons instrumentales les plus diverses. Plusieurs compositeurs ont exploré ce genre. Pour beaucoup d'entre eux, de formation traditionnelle, la musique mixte constitue souvent une porte d'entrée sur le genre électroacoustique, parfois pour quelques expériences sans lendemain, mais d'autres fois pour une adhésion spontanée, voire une conversion définitive.

Live

Connue également sous le nom de musique en direct, la musique live désigne le recours en concert à des dispositifs électroacoustiques, soit combinés simultanément à des instruments traditionnels, soit utilisés seuls. Les combinaisons avec les instruments peuvent se réaliser de manière complémentaire ou de manière plus intégrée, par exemple lorsque les dispositifs transforment en temps réel les sonorités instrumentales produites sur scène. Depuis l'apparition des synthétiseurs, cependant, les dispositifs électroacoustiques se suffisent souvent à eux-mêmes, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des instruments traditionnels. En raison de leur souplesse et de la possibilité d'intervenir sur le contenu sonore au moment du concert, la musique live a souvent servi de plate-forme privilégiée pour les tenants de l'improvisation.

Multi-média

En raison de la souplesse permise par la bande magnétique, tant pour la création que pour la diffusion des œuvres, il était naturel que les moyens électroacoustiques deviennent un jour partie prenante d'autres genres artistiques ou d'autres médias de création. Le terme multi-média désigne ainsi un courant aux frontières flottantes, caractérisé par la présence de moyens électroacoustiques et en général par un spectacle sur scène. Compte-tenu de l'ampleur des moyens exigés, il y a peu d'œuvres multi-médias, mais pour cette même raison, elles ont en général un certain impact 12[12. On peut rappeler, le retentissement de OPÉRaaaAH!, de Marcelle Deschênes, avec l'assistance d'Alain Thibault et de Jean Corriveau, et avec la participation des comédiens Patrice Arbour, Bernard Carez et Raoul Duguay, des danseurs Jacqueline Lemieux, Denis Tremblay et Martine Riopelle, des artistes Monty Cantsin et Paul Saint-Jean, du groupe Performance Multi-média, et des photographes Jacques Collin, Pierre Desjardins et Denis Latendresse, spectacle qui fut présenté par la SMCQ en 1983 et qui fit salle comble durant les trois jours prévus. Dans la même veine.: Une autre création du monde de Gisèle Ricard et Bernard Bonnier en 1982; Carnaval de Yves Daoust et les Mimes Omnibus en 1984; Transit de Micheline Coulombe Saint-Marcoux en 1984; OUT et E.L.V.I.S. d'Alain Thibault en 1985; LUX de Marcelle Deschênes et Renée Bourassa en 1985; God is coming s'en vient de Myke Roy et Pauline Vaillancourt, toujours en 1985; Volvox de Michel Smith, Bertrand Chénier, Bertrand Lacoste et Julien Grégoire en 1987; Drive-In de Michel Smith en 1988; Poe-Debussy, Autour de la maison Usher de Marthe Forget avec les interventions électroacoustiques de Francis Dhomont en 1988; Chroniques de la lumière de Francis Dhomont et Luc Courchesne en 1989; Amore de Roxanne Turcotte en 1990; Méandres de Serge Arcuri en 1990.].

Cependant, en dépit de la conviction affichée par des groupes comme Performance Multi-Média, il faut remarquer un certain essoufflement du genre ces dernières années, essoufflement auquel ne sont sans doute pas étrangers la récession économique et le recul des paliers gouvernementaux en matière de subvention. Le multi-média n'est toutefois pas uniquement destiné aux super-productions. Ainsi, la combinaison de projections de diapositives et d'une bande magnétique a connu une certaine vogue il y a quelques années, notamment avec des œuvres de Kevin Austin, Denys Bouliane, Yves Daoust, Ted Dawson et Michel Tétreault.

Environnement

Proche du genre multi-média par les moyens mis en œuvre, mais très différent en ce qui concerne l'approche et les intentions, la musique d'environnement recouvre un noyau d'applications allant de la simple sonorisation d'une aire d'exposition à la prise en charge complète des mécanismes perceptifs de tous les sens. Ce qui distingue toutefois ce domaine de la simple musique à programme ou de circonstance, c'est une certaine volonté d'intégration au site ou de complémentarité avec la situation. Ainsi, lorsqu'une musique d'environnement est diffusée dans un lieu d'exposition, ce n'est pas pour «meubler» l'endroit, mais bien davantage pour faire corps avec ce qui est présenté, en introduisant ainsi une dimension supplémentaire ou une perception renouvelée. Cette démarche est également à rapprocher des conceptions de Murray Schafer sur le paysage sonore.

On peut d'ailleurs remonter jusqu'à l'Exposition universelle de Montréal en 1967 qui se situait déjà dans cet esprit. À cette occasion, la sonorisation du Pavillon du Canada et de celui du Québec fut confiée à deux compositeurs, Otto Joachim et Gilles Tremblay. Sonorisations remarquées qui comptent parmi les premières et les plus accomplies du genre. L'Exposition de Vancouver en 1986 ne sera pas en reste avec les précédentes grâce à la sonorisation du Pavillon du Canada par Philippe Ménard dont la réalisation transposait des symboles sonores de l'environnement canadien et de ses cultures autochtones. Ajoutons aussi les collaborations du regretté Richard Boucher aux expositions tenues à la Galerie de l'Université du Québec à Montréal en 1973.

Plusieurs musiques électroacoustiques ont été associées d'une manière environnementale à des œuvres d'artistes visuels 13[13. Mentionnons Pierre Dostie avec Jean-Pierre Gagnon, Shawn Ferris (sur des photos de Montréal de Gail MacEachern), Charles de Mestral (sur une sculpture de Paul Mercier), Robert Normandeau (sur des holo-sculptures, sculptures intégrant des hologrammes de Georges Dyens) et Michel Tétreault (sur des dessins d'André Greusard et surtout sur les sculptures de Michel Archambault, combinaisons musique, sculpture et environnement, d'une très grande sobriété et d'une subtile unité).]. Quelquefois, les musiciens deviennent eux-mêmes artistes visuels et proposent leur propre intégration multi-sensorielle 14[14. Notons les installations «métronomiques» de Michelle Boudreau, les sculptures sonores et autres installations de Robin Minard, les installations «holoacoustiques» de Charles de Mestral, et les installations de Raymond Gervais présentées dans le cadre d'expositions d'art contemporain. ]. Dans ce registre, le cercueil multi-média de Richard Martin (véritable bière dans laquelle un spectateur reçoit des sollicitations sonores, visuelles, olfactives et tactiles) tente d'abolir la ségrégation habituelle des sens par les œuvres, destinées en général soit à l'écoute, soit à la vision. Dans le même ordre d'idées, on peut mentionner l'essai d'un «pavillon multi-sensoriel», à la sauce Nouvel-Age, produit par la Fondation pour l'application des technologies nouvelles aux arts (FATNA).

De l'environnement découlent naturellement les préoccupations d'ordre écologique dont Claude Schryer s'avère le porte-parole le plus actif. Ce dernier fut d'ailleurs responsable d'une série de «capsules radio écologie» à l'émission Musique actuelle sur les ondes de Radio-Canada pour lesquelles il sollicita la collaboration de plusieurs compositeurs sur le thème de l'écologie sonore. Dans la même foulée, s'est tenu à Montréal en 1992 un Printemps électroacoustique, organisé par l'Association pour la création et la recherche électroacoustique du Québec (ACREQ) et consacré à ce thème. Là encore, la direction artistique était assurée par Claude Schryer.

Enfin, il faut citer dans le domaine des interventions environnementales par des compositeurs, un essai parmi les plus significatifs, celui que Robin Minard a réalisé en 1990 pour le métro de la ville de Montréal, dans le cadre du festival Montréal Musiques Actuelles, production interactive de musique d'ambiance diffusée de manière continue dans toutes les stations du réseau.

DES LIEUX


L'évolution d'un genre aussi affamé de technologies et aussi dépendant de contextes de diffusion que l'est le genre électroacoustique ne peut évidemment se réaliser en dehors de certains lieux particulièrement adaptés aux exigences de création et de représentation de ce domaine. À la différence de l'Europe, où les lieux privilégiés pour l'épanouissement du genre ont été et sont encore parfois les sociétés de radiodiffusion, en Amérique du Nord, et plus particulièrement au Canada, ce sont plutôt les institutions d'enseignement qui ont assumé ce rôle. Si cette insertion au sein d'instances d'enseignement a permis la mise sur pied de programmes de formation poussés, en revanche pendant longtemps le genre électroacoustique n'a guère eu d'écho en dehors des cercles étudiants universitaires. C'est pourquoi, parallèlement, quelques organismes dédiés à la musique contemporaine ont également contribué au développement du genre, en apportant une dimension complémentaire au travail effectué dans les institutions et en lui offrant souvent une audience plus large.

Les institutions

Les 7 et 8 décembre 1990, la Faculté de musique de l'Université McGill soulignait, par un important festival de musique électroacoustique, le 25e anniversaire de la fondation de l'Electronic Music Studio (EMS). C'est en 1964 qu'arrivent, grâce aux démarches d'István Anhalt qui avait enfin obtenu le financement d'un studio par l'administration de l'Université, divers équipements destinés au premier studio électroacoustique au Québec, le deuxième au Canada. Anhalt, un des pionniers du genre, avait en effet pris contact à Ottawa avec Hugh Le Caine 15[15. Personnalité marquante, inventeur prolifique, il est directement responsable de la fondation des studios électroacoustiques de Toronto, de Montréal et de Kingston et demeure, 15 ans après sa mort, une des figures les plus marquantes du genre électroacoustique au Canada. Parmi ses inventions les plus achevées émergent le Sackbutt, ancêtre des synthétiseurs d'aujourd'hui, ainsi qu'un magnétophone multi-piste, dont un exemplaire fut livré à l'EMS de McGill en même temps qu'un banc d'oscillateurs et un spectrogramme. Les appareils de Le Caine restèrent installés dans les studios jusqu'en 1987, année où l'Université en fit don au Musée de la science et de la technologie à Ottawa.] qui travaillait alors au National Research Council où il dirigeait une section consacrée à la mise au point d'instruments nouveaux. Anhalt demeura directeur de l'EMS de l'Université McGill jusqu'en 1971 avant de devenir directeur du département de musique de la Queen's University en Ontario. Paul Pedersen, qui avait contribué à la mise sur pied du studio, lui succédera brièvement, de 1971 à 1973, et occupera ensuite le poste de doyen de la Faculté de musique de cette même université. La direction du Studio revient alors à Alcides Lanza. Originaire d'Argentine, Lanza anime depuis lors et encore aujourd'hui, le Studio de McGill avec dynamisme, passion et compétence. Actif comme compositeur et interprète, il saura mener le Studio en lui conservant une disponibilité d'accès que ne possèdent pas les studios des autres universités. Il est responsable de plusieurs événements et festivals 16[16. Certains de ceux-ci ont permis au public montréalais de faire connaissance avec la musique contemporaine latino-américaine, ce qui constitue une des trop rares occasions de se familiariser avec la musique venue d'ailleurs et plus particulièrement des pays d'Amérique latine.]. Bengt Hambraeus, d'origine suédoise et témoin des premiers moments du genre électroacoustique, ainsi que Bruce Pennycook, spécialisé dans les applications des techniques numériques à la création musicale, font également partie du corps enseignant du secteur électroacoustique de la Faculté de musique de McGill.

En 1969, c'est à l'Université Laval à Québec qu'apparaît le premier studio francophone au pays, le Studio de musique électronique de l'Université Laval (SMEUL). Le compositeur et ingénieur Nil Parent en est le fondateur et toujours le directeur.

L'Université Concordia de Montréal suit en 1971 avec un studio que Kevin Austin met sur pied progressivement. Ce dernier, rattaché depuis à l'institution, se distingue autant par ses qualités d'organisateur que par ses talents d'interprète et ses activités de composition et d'enseignement. Toujours directeur du secteur électroacoustique de l'Université, il a été secondé de 1986 à 1989 par Jean-François Denis qui a assuré la direction du studio et, depuis 1989, par Mark Corwin.

De 1974, année de création du secteur électroacoustique, jusqu'en 1982, année de l'installation de la Faculté de musique dans ses locaux de l'avenue Vincent-d'Indy, l'Université de Montréal s'est dotée peu à peu d'équipements et de studios consacrés à la création et à la production électroacoustiques. L'équipe de professeurs est formée de Louise Gariépy, à qui l'on doit les premiers efforts pour l'organisation des studios, Marcelle Deschênes, Francis Dhomont et Jean Piché, et bénéficie du soutien logistique de Myke Roy. La Faculté de musique de l'Université de Montréal offre une formation complète en électroacoustique au niveau du baccalauréat, de la maîtrise et du doctorat. Et les étudiants peuvent trouver un support solide au niveau professoral, que leur tendance soit orientée vers le multi-média, l'acousmatique ou la musique par ordinateur.

L'Université du Québec à Montréal ne possède pas de studios réservés à la création électroacoustique en tant que telle, du moins pas à la Faculté de musique. C'est plutôt au département des communications que certains étudiants peuvent tant bien que mal se familiariser avec certaines techniques propres au genre électroacoustique. Philippe Ménard est responsable de ce département.

Enfin, on doit mentionner la création de studios dans les Conservatoires de Québec en 1978 et de Montréal en 1980 grâce aux efforts d'Yves Daoust qui assure aujourd'hui encore l'enseignement à Montréal. Cette tâche a été partagée avec Micheline Coulombe Saint-Marcoux à Montréal de 1982 à 1984, et avec Jean-François Denis à Québec en 1991.

Par le niveau de la formation dispensée, par des échanges plus fréquents entre les institutions, par le soutien à différentes activités de concert, enfin, par le lancement de disques consacrés à l'électroacoustique, les institutions d'enseignement continuent d'offrir au genre électroacoustique un appui important et permettent son essor.

Les organismes

Malgré la concentration des moyens au sein des Universités, il ne faut pas négliger le rôle de divers organismes qui contribuent à sortir le genre électroacoustique des «chapelles» quelquefois trop fermées et à rendre sa diffusion plus accessible. Outre les groupes MetaMusic, CECG et GIMEL, déjà cités à propos de la musique en direct, plusieurs associations ou regroupements, agissant davantage comme sociétés de concerts, font une place constante au genre électroacoustique.

Le plus ancien de ces organismes est la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ). Fondée en 1966, par les soins de Hugh Davidson, Serge Garant, qui en fut jusqu'à sa mort le directeur artistique, Maryvonne Kendergi, Jean Papineau-Couture, Wilfrid Pelletier et Jean Vallerand, la SMCQ a fait pour l'avancement de la musique contemporaine au Québec plus que tout autre organisme. Toutes les tendances, y compris les genres électroacoustiques, quoique dans une plus faible proportion, se sont côtoyées lors des saisons de concerts annuelles. Talonnée par de nouveaux organismes, la SMCQ tarde à se ressourcer depuis la disparition de Serge Garant, mais contribue toujours à l'activité culturelle du Québec.

En 1978, c'est l'ACREQ, premier organisme canadien dédié exclusivement au genre électroacoustique qui voit le jour. Yves Daoust, Marcelle Deschênes et Philippe Ménard, ainsi que Michel Longtin, Jean Sauvageau et Pierre Trochu, jetaient alors les bases d'un regroupement de compositeurs dans le but de favoriser une implantation plus forte de ce genre au Québec et de lui assurer une base solide. Au crédit de l'ACREQ, il faut inscrire l'invitation de nombreux compositeurs et groupes, l'organisation d'événements d'importance comme les Printemps électroacoustiques, des séries de concerts annuelles, dont les Clair de terre au Planatérium de Montréal, les commandes à différents compositeurs et la co-production de plusieurs concerts ou créations, un concours international d'électro-clips et enfin l'organisation d'ateliers de création sonore au Cégep du Vieux-Montréal et dans les écoles primaires et secondaires.

La même année, à Québec cette fois, naissait l'Association pour la musique actuelle du Québec (AMAQ) avec Irène Brisson, Claude Brisson, Michel Drapeau, Pierre Genest, Odile Magnan, André Morin et Gisèle Ricard qui en a assuré la direction pendant plusieurs années. Orientée principalement vers la musique instrumentale, l'AMAQ a su intégrer à ses concerts plusieurs œuvres de nature électroacoustique.

Il en va de même pour les Événements du Neuf qui apparaissent eux aussi en 1978, à l'initiative de José Evangelista, John Rea, Lorraine Vaillancourt et Claude Vivier auxquels se joindront Léon Bernier, Denis Gougeon et Rémi Lapointe, et qui, jusqu'à la fin de leurs activités en 1989, animeront avec originalité la vie musicale québécoise. Ils présentèrent, entre autres, en 1984 un concert acousmatique Le haut-parleur bien éclaté, sous la direction artistique de Francis Dhomont, qui fit salle comble.

C'est au sein de l'Université McGill que sera fondé par Alcides Lanza, John Oliver et Claude Schryer le Group of the Electronic Music Studio (GEMS) en 1983. Responsable de la tenue de nombreux concerts électroacoustiques, le GEMS propose notamment une série annuelle, le Studio Exchange, au cours de laquelle les autres studios, institutions ou organismes sont invités à présenter leur production.

Deux ans plus tard, un groupe de musiciens et de compositeurs, dont Céline Asselin, Claude Frenette, Mario Gauthier, André Hamel, Gaétan Martel, Francis Ouellet et Lucie Paquin, mettent sur pied la Société de concerts alternatifs du Québec (SCAQ) dont la spécificité consiste à promouvoir la musique de jeunes compositeurs, quelle que soit leur tendance. Dans le champ de l'électroacoustique, citons les événements Un cinéma pour l'oreille, concert acousmatique, et Drive In, vaste production multi-média de Michel Smith, dans un lieu investi de «vimudéos» (musique et vidéo).

En 1986, se tient à Toronto le festival électroacoustique Wired Society qui réunit pour l'occasion un grand nombre de compositeurs. Ces derniers discutent de l'opportunité de lancer une association à l'échelle du pays qui serait entièrement vouée au genre électroacoustique. En juillet de la même année, à l'initiative de Kevin Austin et de Jean-François Denis, la Communauté électroacoustique canadienne (CEC) est officiellement lancée avec le parrainage d'une centaine de membres. La CEC constitue depuis la seule association de compositeurs électroacoustiques au Canada ( i.e. comportant des membres votant, une assemblée générale annuelle, un bureau élu, etc.) et la fédération nationale de la Confédération internationale de musique électroacoustique (CIME). À travers une organisation bien structurée et une publication bilingue, Contact!, les membres de la CEC sont tenus au courant de diverses acivités concernant les milieux électroacoustiques, autant sur la scène locale qu'à l'étranger. De plus, la CEC a organisé à ce jour trois imposants festivals, Diffusion! à Toronto en 1988, >convergence< à Banff en 1989 et >>PERSPECTIVES>> à Montréal en 1991. Ces festivals permettent la création d'un grand nombre d'œuvres et la communication de recherches ou de points de vue sur le genre électroacoustique. Ils jettent de plus les bases de plusieurs projets communs, dont celui de constituer des archives électroacoustiques avec la collaboration du Centre de musique canadienne et celui d'un réseau informatique pour le partage d'informations entre les membres. Le premier président de la CEC, de 1986 à 1990, a été Jean-François Denis. La présidence est actuellement assurée par Ned Bouhalassa. Enfin, sous le haut patronage de Madame Trudi Le Caine, la CEC accueille six membres honoraires, István Anhalt, Gustav Ciamaga, Francis Dhomont, Bengt Hambreaus, Otto Joachim et Alcides Lanza.

En 1986 également, Michelle Boudreau, Michelle Gariépy et Sylvaine Martin fondent le groupe Musiques itinérantes, dont la programmation couvre la création musicale contemporaine dans son ensemble, y compris les musiques électroacoustiques.

Un groupe d'arts médiatiques spécialisé dans la production de disques compacts uniquement consacrés à la création électroacoustique, tel est le pari engagé par DIFFUSION i MéDIA, fondé en 1989 par Jean-François Denis et Claude Schryer. Le catalogue, sous étiquette empreintes DIGITALes, comprend déjà des disques de Christian Calon, Robert Normandeau, Alain Thibault, Daniel Scheidt, Yves Daoust et un coffret double de Francis Dhomont, sans oublier Électro Clips, qui réunit 25 «instantanés électroacoustiques», courtes œuvres de 3 minutes, d'autant de compositeurs du Québec, du Canada, des États-Unis et du Mexique. Le succès obtenu jusqu'à présent par cette collection témoigne du professionnalisme des responsables, de la qualité des disques et de l'intérêt pour des musiques de compositeurs qui profitent enfin d'un filon de diffusion qui leur était auparavant inaccessible.

Pour compléter ce survol des organismes musicaux québécois par rapport au genre électroacoustique, il faut encore mentionner Réseaux, mis sur pied en 1990 par Jean-François Denis, Gilles Gobeil et Robert Normandeau. La première manifestation de Réseaux a été le concert-hommage à Francis Dhomont le 2 novembre 1991, à l'occasion de son 65e anniversaire et du lancement de son coffret de disques compacts.

DES LIENS


Les moyens qui servent à la production électroacoustique ne sont plus, comme il a été mentionné, la propriété exclusive des musiciens. Les créateurs d'autres disciplines artistiques bénéficient au même titre des nouvelles possibilités de traitement du son. Ils peuvent alors intégrer la dimension sonore d'une manière renouvelée, intégration que la lourdeur des effectifs instrumentaux n'autorisait pas aussi facilement. Mais, plus que pour un simple accompagnement musical, cette appropriation des moyens électroacoustiques par le cinéma, la danse, la performance, la radio et le théâtre entraîne une approche différenciée de la composante sonore et fournit de nouvelles perspectives de création multi-disciplinaire.

Dans le domaine du cinéma, ce type de collaboration remonte même aux années cinquante. Maurice Blackburn, aux côtés de Norman McLaren à l'Office national du film du Canada, est en effet l'auteur de plusieurs bandes sonores à rapprocher des expériences de musique concrète. Ces bandes sonores se caractérisent par le fait qu'elles sont directement gravées sur la pellicule et qu'elles épousent ainsi étroitement le mouvement de l'image. Le film Blinkety Blank, réalisé en 1955, est sans doute le plus exemplaire de cette démarche.

Yves Daoust a lui aussi conçu quelques bandes sonores à l'O.N.F., notamment des «comptines». Toutefois, cette veine bien amorcée ne trouve guère de prolongements dans la production cinématographique québécoise. Mentionnons tout de même la participation de Pierre Mercure à deux films de Jacques Giraldeau, La forme des choses et Élément 3, la composition électroacoustique de Francis Dhomont pour les Traces du rêve, de Jean-Daniel Lafond, en 1986, ainsi que diverses collaborations de Bertrand Chénier, de Jean Corriveau et de Brent Holland.

On retrouve également quelques incursions des musiques électroacoustiques dans le domaine de la danse. Là aussi, Pierre Mercure est l'auteur de musiques de ballet, en particulier la série des Structures métalliques, réalisée en 1961 et 1962. Il y aura plus tard la Trilogie de la montagne, de Michel Longtin, sur une chorégraphie du Groupe Nouvelle Aire. Puis encore, durant la décennie 80, Serge Arcuri avec Résurgence sur une chorégraphie de Manon Levac en 1982, Robert Normandeau avec Panic Time, en 1985, et Signes et rumeurs, en 1987, pour Lucie Grégoire, Claude Frenette avec Et lisser son visage comme au fil du temps pour Ann Carrier en 1985, Robin Minard avec Mur-Murs pour Louis Parent en 1985, Eric Brown avec PS : M'as-tu vu te regarder? pour Cheryl Prophet et Daniel Soulières en 1987, et Jean-François Denis avec Pièces détachées pour Janet Oxley en 1988. Christian Calon avec Hockey, ok? pour Dulcinée Langfelder en 1991 et, à nouveau, Jean-François Denis avec Nuits blanches pour Martha Carter. La collaboration de musiciens électroacoustiques à des spectacles de danse demeure somme toute assez restreinte. Il y aurait pourtant beaucoup à faire, par exemple imaginer des interactions de danseurs avec des dispositifs électroacoustiques, une imbrication étroite du son et des mouvements, au lieu de réduire le rôle de la musique à celui d'un simple prétexte sonore.

Cousine de la danse, la performance a connu il y a une quinzaine d'années une certaine vogue, avant de s'essouffler et de disparaître. Malgré le fondement d'une idéologie qui remonte aux débuts des années soixante avec le Happening et le Pop-Art, sans compter la bénédiction donné par John Cage à ce renouvellement des pratiques artistiques, la performance a dû elle aussi céder aux impératifs de la rentabilité et subir le désintérêt progressif du public, échaudé il est vrai par l'amateurisme de plusieurs «performeurs». Que ce genre soit désormais terminé ou seulement mis entre parenthèses, on peut quand même mentionner les contributions de Claude-Paul Gauthier, Claude Lamarche, et surtout du groupe Sonde, très actif dans le milieu des arts visuels.

Les musiques électroacoustiques sont nées en Europe, dans les radios d'État. En Amérique le rôle des sociétés homologues a surtout été celui de la diffusion. Radio-Canada, avec Musique actuelle (et auparavant Musique de notre siècle, qui vit le jour en 1967 et dont Serge Garant fut pendant longtemps l'animateur dévoué) assure, vaille que vaille, aux compositeurs un canal pour rejoindre un public plus large que celui qui assiste aux concerts, par-delà les retransmissions ou les quelques rares commandes de la radio d'État. En revanche, le médium lui-même a suscité un type d'œuvres, dites radiophoniques, conçues et réalisées en fonction du mode même de diffusion et d'écoute de la radio. Œuvres qui occupent donc en général une tranche horaire bien définie, comme celles de Marcelle Deschênes et d'Yves Daoust, d'une durée de 30 minutes, ou encore à caractère documentaire, comme celle que Daoust a composée en hommage à Maurice Blackburn. Francis Dhomont et Diane Maheux ont produit une série de six émissions, à l'instigation de la réalisatrice de Musique actuelle, Hélène Prévost, intitulée Voyage au bout de l'inouï. Thèmes variés, citations littéraires et musicales, extraits d'entrevues et d'œuvres électroacoustiques, commentaires de compositeurs, émaillent un collage sonore très vivace et particulièrement bien adapté à une écoute radiophonique. Denys Bouliane, Michel-Georges Brégent sont également auteurs d'œuvres pour ce genre, sans oublier celles que le réalisateur torontois, David Olds, a commandées à Serge Arcuri, Francis Dhomont, Alcides Lanza et Myke Roy. Enfin, il est juste de souligner le rôle que certaines radios communautaires assurent dans la promotion du répertoire électroacoustique, notamment CINQ-FM, CIBL, et CKUT.

Le domaine du théâtre a particulièrement bien profité de l'avènement des moyens électroacoustiques. Assurer au théâtre une présence sonore constitue avec les méthodes traditionnelles, instruments ou bruits enregistrés, une tâche démesurée en raison des problèmes de coordination, de diffusion et d'ambiance que cela entraîne. En revanche, avec les moyens électroacoustiques, il devient possible de sonoriser la scène de multiples manières, de doser la répartition de la masse sonore dans la salle, d'amplifier ou de modifier la voix des comédiens et surtout d'introduire au cours de la pièce tout un arsenal nouveau de sources ou d'effets sonores. Cela explique que c'est peut-être dans le domaine du théâtre que l'on assiste à la collaboration la plus étroite entre les musiciens électroacoustiques, les auteurs et les metteurs en scène 17[17. Parmi de nombreux exemples réussis, mentionnons les collaborations de Michel Smith avec Michel Tremblay et Pascale Malaterre, Bertrand Chénier avec le Théâtre expérimental des femmes, Bernard Bonnier et Daniel Toussaint pour des productions de Robert Lepage, Alain Thibault avec Carbone 14 et Heiner Müller, Yves Daoust avec la troupe des Mimes Omnibus.].

DES MANIFESTATIONS ET DES INNOVATIONS


Ces différents liens instaurés entre les musiques électroacoustiques et diverses disciplines artistiques (liens auxquels il faudrait encore ajouter les domaines de la production vidéo, notamment avec le groupe PRIM, Productions Réalisations Indépendantes de Montréal, et de la publicité où les techniques électroacoustiques sont de plus en plus manifestes) témoignent à leur manière d'un certain dynamisme de la scène électroacoustique québécoise. Suffisent-ils toutefois à affirmer son rôle et son impact dans la communauté culturelle? Attestent-ils, pour autant, qu'elle y est bien implantée et acceptée de façon viable?

Peut-être, mais il n'est sans doute pas inutile, pour compléter ce portrait et ce parcours des musiques électroacoustiques au Québec, de rappeler quelques manifestations d'envergure, ainsi que la contribution et l'innovation de chercheurs ayant ainsi enrichi la pratique et la lutherie électroacoustiques.

Des manifestations

Le premier concert avec diffusion d'œuvres électroacoustiques au Canada a eu lieu en automne 1959 à l'Université McGill de Montréal. Au programme, deux Electronic composition d'István Anhalt, qui avait organisé le concert, le classique Gesang der Jünglinge de Karlheinz Stockhausen, et deux courtes œuvres de Hugh Le Caine, Rhapsodie d'une goutte d'eau et Le pont en flammes.

D'une envergure peu égalée depuis, la Semaine de musique contemporaine organisée à Montréal au mois d'août 1961 par Pierre Mercure, permit d'entendre plusieurs œuvres électroacoustiques, en présence de compositeurs prestigieux comme Cage, Kagel, Schaeffer et Stockhausen. Ainsi, le Poème électronique de Varèse, composé en 1957 pour l'Exposition universelle de Bruxelles, fut -il diffusé pour la première fois à Montréal, tout comme Incandescence de Pierre Mercure et L'étude sur son bref que Gilles Tremblay avait composée durant son séjour à Paris dans la classe de Pierre Schaeffer. Au cours de la même semaine, Hugh Le Caine prononça une conférence remarquée sur la conception des instruments électroniques.

Il faudra ensuite attendre 1972 pour assister à un autre événement consacré à cette musique, le Carrefour électroacoustique, tenu dans le Vieux-Montréal et organisé par Micheline Coulombe Saint-Marcoux et Jacques Thériault, puis 1983 et les Journées électroacoustiques de l'ACREQ, premier événement entièrement consacré à la production canadienne de ce genre. L'ACREQ récidivera régulièrement par la suite avec son Printemps électroacoustique, au cours duquel se côtoient tous les genres pratiqués dans ce domaine musical. Lors du Printemps électroacoustique de 1986 notamment, Pierre Henry vint à Montréal présenter deux de ses œuvres d'envergure : Dieu, sur le poème-fleuve de Victor Hugo, et sa très célèbre Apocalypse de Jean 18[18. D'autres compositeurs consacrés comme François Bayle, Charles Dodge, Luc Ferrari, Léo Küpper, Michel Rodolfi, Alain Savouret, Michel Waisvisz ou des groupes constitués tels que CIME, GMEB, GMEM, GRM, etc. Ont également été les invités des Printemps de l'ACREQ.]. Ce même événement permit d'entendre le premier concert de musiques numériques réalisées sur des instruments MIDI.

À l'occasion du cinquième anniversaire de l'AMAQ, en 1983, se déroulèrent plusieurs concerts à Québec avec la participation de compositeurs électroacoustiques déjà en place comme Bernard Bonnier, Yves Daoust et Gisèle Ricard, ou de nouveaux venus, comme Robert Normandeau et Alain Thibault. Un événement déjà cité, le Haut-parleur bien éclaté, concert acousmatique confié à Francis Dhomont en 1984 par les des Événements du Neuf, eut un certain retentissement en attirant plus de deux cents auditeurs. Y figuraient des œuvres de Patrick Ascione, Christian Calon, Yves Daoust, Marcelle Deschênes, Francis Dhomont, Michel Longtin, Alain Savouret et Alain Thibault. La même année vit la création de la dernière œuvre de Micheline Coulombe Saint-Marcoux, quelques mois avant sa mort, Transit, avec la collaboration du Théâtre de l'Eskabel. La série de concerts Hear and Now, organisée par le CECG, mérite également d'être mentionnée pour le nombre considérable d'œuvres diffusées depuis 1982. Plusieurs concerts eurent lieu à l'extérieur durant l'été.

Prélude aux Journées électroacoustiques CEC, le festival «2001 (-14)», en 1987, adopta pour la première fois la formule concerts-conférences-débats qui deviendra la marque distinctive de ces Journées. Pour la circonstance, les trois universités montréalaises, Concordia, McGill et Montréal, se joignirent à l'ACREQ pour l'organisation de la manifestation. Toujours en 1987, Alcides Lanza présenta à l'Université McGill un Concert-marathon au cours duquel il interpréta, de 18 à 23 heures, 27 œuvres contemporaines pour le piano, parmi lesquelles plusieurs musiques mixtes 19[19. Œuvres électroacoustiques de Sergio Barroso, Richard Bunger, John Celona, Yves Daoust, Charles Dodge, David Keane, Alcides Lanza, Joseph Maria Mestres-Quadreny et Serge Perron. On put également assister à la projection du célèbre Entr'acte, de René Clair et Francis Picabia, avec un accompagnement musical d'Érik Satie interprété pour la circonstance au piano.]. L'année suivante, Jacques Drouin, pour les besoins de son long-métrage sonore Horizones, fonda le premier ensemble MIDI québécois, avec Robert Leroux et René Masino, et commanda des œuvres spécialement conçues pour des dispositifs MIDI à Marcelle Deschênes, Robert Normandeau, Myke Roy, Denis Saindon et Michel Smith.

Trois concerts acousmatiques, Le son mobile, furent présentés avec l'un des «orchestres de haut-parleurs» les plus élaborés réalisé à Montréal. Organisés par l'ACREQ à l'occasion des concerts anniversaires de leur dixième saison en 1989, ces événements furent consacrés au Groupe de recherches musicales de Paris (GRM), à son directeur, le compositeur invité François Bayle, et, enfin, aux différents compositeurs qui ont apporté leur contribution à l'ACREQ. Ce même organisme lança à partir de 1989, à l'initiative de Robert Normandeau, la série Clair de terre, concerts acousmatiques présentés sous la sphère étoilée du Planatérium de Montréal. Chacun de ces concerts est thématique et confié à un directeur artistique différent; il offre l'occasion d'entendre une œuvre classique du répertoire électroacoustique, ainsi que la production représentative actuelle des principaux compositeurs du genre.

La SCAQ a aussi commandité quelques réalisations ambitieuses dans le domaine de l'électroacoustique, comme le concert Musique et ordinateur en 1987, le spectacle environnemental Drive In de Michel Smith, en 1988, et, du même compositeur, Le disque vert et ses clartés, ce dernier spectacle étant présenté dans le cadre du festival Montréal Musiques Actuelles. Cette importante manifestation, variante montréalaise du New Music America, se déroula au mois de novembre 1990. Onze jours de musique nord-américaine durant lesquels le genre électroacoustique fraya son chemin tant bien que mal, à travers l'Acousmonium 20[20. Ce titre fait référence au dispositif de projection (orchestre de haut-parleurs) dû à Fançois Bayle (GRM, 1974). (N.d.E.)], concerts acousmatiques de caractère confidentiel, et les Musiques pour Marteaux et Alliages, musiques mixtes de Alvin Curran, Claude-Paul Gauthier et Hildegard Westerkamp, diffusées en plein-air et faisant appel aux sonorités du clocher de l'Université du Québec à Montréal.

L'année 1990 était également, nous l'avons vu, celle du 25e anniversaire de la fondation de l'EMS de l'Université McGill. Un rappel des étapes historiques, des principales réalisations, des compositeurs invités par le studio, de la discographie, des distinctions internationales obtenues, le tout émaillé de deux concerts, permit de mesurer l'importance de cette institution dans l'évolution du genre électroacoustique à Montréal.

Enfin, durant l'année 1991, deux événements majeurs se déroulèrent à Montréal, les troisièmes Journées électroacoustiques CEC, >>PERSPECTIVES>>, neuf concerts et 66 compositeurs, ainsi que l'International Computer Music Conference, événement international annuel entièrement dédié à la musique par ordinateur, au cours duquel on put mesurer l'inflation technologique dans laquelle se complaisent de plus en plus de compositeurs.

Des innovations

On ne peut nier , en effet, le rôle tenu par la technologie dans l'invention et le développement de cet art du XXe siècle. Les musiques électroacoustiques sont nées de l'effet conjugué d'une volonté d'échapper au carcan des instruments traditionnels et du désir de renouveler les matériaux, en détournant de leur fonction première divers appareils pouvant procurer de nouveaux modes d'intervention sur la matière sonore. Dès le départ, les musiciens tentent de se doter des moyens techniques les plus appropriés pour capter les sons, pour les traiter ensuite plus précisément, pour les combiner plus efficacement et enfin pour les diffuser de façon plus maîtrisée. Qu'on pense par exemple au Phonogène, inventé par Pierre Schaeffer et Jacques Poullin, variateur de la vitesse des sons enregistrés, utilisé dès le début des années cinquante. Les magnétophones à bande magnétique, pour leur part, marquèrent une étape importante de la création électroacoustique et constituent encore aujourd'hui un support très fiable pour la conservation et la diffusion des œuvres. Vinrent ensuite, durant les années soixante, les premiers synthétiseurs, puis, principalement à partir de 1980, la technologie numérique, c'est-à-dire la musique assistée par ordinateur, notamment avec le fameux protocole MIDI.

Ce qui fait en grande partie l'intérêt de l'approche électroacoustique, par-delà la boulimie d'appareils qu'elle entraîne quelquefois chez des prosélytes trop hâtifs, c'est que, contrairement au cinéma où le cinéaste doit se contenter des seuls appareils que l'industrie met à sa disposition, le compositeur se double souvent d'un chercheur qui contribue directement à l'évolution de la lutherie électronique et de la création électroacoustique. En ce domaine le Québec (confirmant là aussi son faible pourcentage de recherche/développement en Amérique du Nord) ne dispose pas d'institutions solides pouvant soutenir les chercheurs dans leurs projets. Pas de Laboratoires Bell où le logiciel de synthèse Music V a été conçu par Max Mathews, pas d'ordinateurs puissants comme celui mis à la disposition de John Chowning à Stanford 21[21. Ce qui lui permit de mettre au point le procédé de synthèse sonore par modulation de fréquences, qui allait bouleverser certaines données de la composition électroacoustique.], pas même d'institutions établies comme le GRM au sein duquel le système Syter 22[22. «SYstème TEmps Réel». Système audio-numérique de synthèse, d'analyse et de transformation des sons par ordinateur conçu par Jean-François Allouis et développé par l'INA-GRM. (N.d.E.)] a été conçu et dont maints compositeurs ont profité. Les chercheurs sont ici laissés à eux-mêmes et c'est souvent à l'insu des établissements où ils œuvrent qu'ils peuvent malgré tout mettre à jour certains produits originaux.

Après Hugh Le Caine, avec plusieurs instruments conçus au Conseil national de recherches à Ottawa, après Otto Joachim qui inventa quelques instruments pour les besoins de son propre studio, après le groupe Sonde dont les concerts-performances reposaient sur des instruments de leur conception, l'arrivée des micro-processeurs et des technologies numériques allait ouvrir tout un nouveau champ d'exploration et d'innovations diverses. Mentionnons Nil Parent, à Québec, et sa compagnie Technos, dont les efforts d'innovation dans le domaine de la synthèse numérique ont mené à quelques réussites remarquables, malheureusement demeurées sans appuis ou débouchés. Autre réalisation québécoise, le spatialisateur sonore SP-1, conçu par Alain Martel, appareil destiné à procurer au compositeur un nouveau mode de diffusion en direct, grâce auquel il peut contrôler et programmer avec une grande souplesse le mouvement dans l'espace des sons répartis entre les différents haut-parleurs. Une tentative à suivre est celle du Synchoros de Philippe Ménard, appareil qui réagit cette fois aux gestes de l'interprète, qui commandent un synthétiseur et proposent une nouvelle interaction son-mouvement.

Dans le domaine de la conception assistée par ordinateur,on trouve encore le procédé de composition bimodale de Lannick Dinard. Ce procédé, qui en est au stade de la recherche, repose sur la géométrie; il se fonde sur des rapports supposés entre structures physiques et structures sonores, selon lesquels n'importe quelle forme peut générer une transposition sonore par le déchiffrage tridimensionnel du modèle géométrique. Enfin, dans le domaine commercial, citons la compagnie Lyre qui a mis au point le FDSS, système de synthèse additive numérique, et quelques réalisations dans le domaine des logiciels MIDI, comme le séquenceur Tape'n Step.

En ce qui concerne la recherche, que ce soit au plan informatique, de l'ingéniérie, ou même musicologique, le Québec n'offre finalement que très peu de moyens, de soutien, de diffusion ou de plublication qui permettraient de pousser plus loin les projets des chercheurs.

Fin de parcours


Au terme de ce parcours, on aura remarqué que le genre électroacoustique au Québec ne diffère finalement guère des tendances que l'on peut observer ailleurs. Avidité d'appareillages électroniques, adaptation des moyens à une multitude de circonstances, éclatement des formes et des genres, éclectisme des compositeurs face aux matériaux et aux traitements, tels sont là quelques points communs avec la pratique électroacoustique courante. Il apparaît ainsi plus facile de souligner ce qui rapproche le genre électroacoustique québécois, de ce qui se produit ailleurs que de définir sa spécificité. On insiste souvent, par exemple, sur l'expressionnisme des compositeurs électroacoustiques francophones du Québec, friands de fourmillements, de contrastes et de densités, en l'opposant à l'approche plus formelle de leurs homologues anglo-saxons, explorateurs patients des arcanes technologiques et des mises en forme étudiées 23[23. Cf. l'article de Françoise Barrière (N.d.E.)]; mais rien de bien particulier ou de systématique ne permet de faire de ce caractère stylistique une exclusivité québécoise.

Quelques faits demeurent néanmoins. Le genre électroacoustique a connu durant la dernière décennie une ascension fulgurante, favorisée non seulement par une plus grande accessibilité aux moyens qui permettent de composer ces musiques (comme en témoigne une certaine multiplication des studios électroacoustiques personnels), mais également par une infrastructure pédagogique solide, un corps professoral compétent, le dynamisme d'organismes et d'individus persuadés de l'envergure de cette tendance, et aussi sans doute par un meilleur ancrage social des «nouvelles sonorités», notamment dans la publicité et le cinéma, qui éveillent l'intérêt et piquent la curiosité d'un auditoire élargi.

Cette relative expansion ne signifie pas pour autant que le genre électroacoustique soit à l'abri des doutes et des débats qui agitent la communauté musicale contemporaine. Les démangeaisons du Postmodernisme, l'aspiration à la reconnaissance par un vaste public, l'appétence d'une carrière sans histoire, voire le désenchantement occasionné par les ravages du prétendu progrès, ravages qui n'épargnent pas la musique et qui incitent à taxer de totalitarisme toute production musicale d'après-guerre, tout cela affecte aussi les musiciens électroacoustiques. La prolifération des moyens et le renouvellement incessant des technologies proposées s'inscrivent d'ailleurs dans cette optique. D'une part, la consommation de nouveaux appareils détourne les compositeurs des problèmes musicaux en les obligeant à un apprentissage continu, ce qui retarde d'autant la définition d'une démarche compositionnelle; d'autre part, cette même consommation incite à déléguer aux machines les stratégies musicales qui permettent de choisir dans une infinité d'objets et de combinaisons sonores ceux susceptibles d'être intégrés dans un propos musical. Cependant, cette disproportion maintes fois décriée entre la surenchère technologique et les piètres résultats qui trop souvent s'ensuivent n'est qu'un des enjeux du genre électroacoustique, sa face la plus visible et finalement peut-être la moins importante.

Les musiques électroacoustiques découlent d'une volonté de renouveler la matériologie, de fonder l'activité musicale sur de nouvelles prémisses. Cela a amené les musiciens à prendre conscience des ressources exceptionnelles de l'oreille, forcée de fouiller de nouveaux objets sonores 24[24. Au sens phénoménologique schaefferien.], d'assimiler de nouvelles données et d'identifier de nouveaux indices perceptifs. L'oreille, notre premier contact avec le monde, le seul sens en éveil de manière permanente, notre interprète du monde sonore, assume une quantité insoupçonnée de fonctions chez l'être humain. Elle assure notre équilibre, nous renseigne sur la directivité des informations sonores, interprète les signaux acoustiques, identifie des activités et des lieux, nourrit nos besoins esthétiques grâce au déchiffrement subtil de sonorités innombrables, enrichit notre système symbolique, notamment au niveau du temps et de l'espace, et autorise un apprentissage constant par le lien privilégié avec l'environnement, lien procuré par la perception des objets sonores.

C'est cette même oreille qui subit les assauts d'une sonorisation urbaine incontrôlée, qui doit composer avec la piètre isolation acoustique de bâtiments construits à la va-vite et qui n'a plus qu'à s'incliner devant l'indigence des sollicitations sonores déversées dans les lieux publics et commerciaux ou par les médias. Et finalement cet aspect est bien plus préoccupant et son enjeu autrement plus critique que n'importe quel débat oiseux sur les matériaux ou les techniques, sur la grandeur ou la décadence du tonal ou de l'atonal. Car c'est encore et toujours l'oreille qui est laissée pour compte dans les arguties compositionnelles et qui est reléguée à l'arrière-plan au profit des propositions sonores immédiates des synthétiseurs ou des ordinateurs.

On en vient alors à souhaiter que les musiciens retrouvent une passion de l'écoute qui a déjà été la leur, un certain sens critique, une approche plus globale de leur domaine, qu'ils prennent position et qu'ils mettent à profit la formidable armada technologique dont ils disposent pour s'impliquer davantage dans les enjeux sociaux et pour cesser de donner des arguments à ceux qui les accusent de camper aux frontières du parasitisme. Parasitisme auquel le Québec tend dangereusement, et de plus en plus, à associer la culture en général.

Et enfin une citation : «Sans doute victime des pires erreurs, aussi bien que symptôme de nos plus grands périls, ce n'est point tellement pour ses vertus que la musique d'aujourd'hui s'impose à nous, mais pour le chemin qu'elle nous a frayé brutalement dans l'imbroglio de la communication. L'expérience musicale nous apparaît alors comme la porte dérobée de l'expérience humaine.» (Pierre Schaeffer)

Cet article est reproduit ici avec la permission de l'auteur, de l'éditeur, de Copibec et de PUM.

Social bottom