[Report]
Futura, festival international d’art acousmatique et des arts de support
Futura 2008 — Une cinématique du son
21 au 24 août 2008
Crest, Drôme, France: Espace Soubeyran
http://www.futurafestival.org
Depuis 1993, et sa création par Denis Dufour, le festival Futura est entièrement dédié à la diffusion et à la promotion du répertoire acousmatique international.
Par répertoire acousmatique le festival entend défendre avant tout l’œuvre sur support, telle qu’elle s’inscrit dans cette tradition schaefferienne depuis plus d’un demi-siècle. Cela dit, le festival et son équipe n’entendent pas tant défendre un dogme, bien au contraire, que de promouvoir l’art acousmatique dans ses multiples évolutions et sa pertinence toujours renouvelée, quitte à parfois savoir dépasser le cadre des pratiques électroacoustiques et aller regarder du côté des musiques électroniques et affiliées pour voir ce qu’elles ont fait de cet héritage schaefferien.
L’édition 2008 ne déroge pas à la règle, en présentant plus d’une cinquantaine d’oeuvres de compositeurs de tous âges et de tous horizons, lors de trois jours de concerts s’achevant par une nuit blanche.
Puisqu’il s’agit d’œuvres sur support, tout le dispositif du festival est axé autour d’un imposant acousmonium qui en forge l’identité, un dispositif qui, s’étoffant d’année en année, abouti aujourd’hui à cette étrange bête composée de quelque 100 hauts parleurs (pour 72 voix de diffusion) qui s’étale dans la grande salle de l’espace Soubeyran de Crest où ont lieu les concerts.
Avec cet équipement, le festival revendique une certaine tradition, puisque cet orchestre de haut-parleurs n’est pas sans rappeler l’acousmonium conçu par François Bayle pour le GRM à l’aube des années 70. On y retrouve ce même goût pour des haut-parleurs très variés — du tweeter perché en haut de fragiles cannes à pêche, à une multitude de larges bandes de tout types et de toutes époques (deux d’entre eux étant d’ailleurs des rescapés du GRM).
Cela dit, il ne s’agit pas pour l’équipe du festival de défendre un âge d’or de la musique électroacoustique, mais plutôt de placer l’écoute acousmatique au centre de l’expérience sensorielle proposée lors de ces trois jours et une nuit de concerts. Pour cela, le festival fait appel à une équipe d’interprètes qui vont diriger en conscience les opérations au travers d’une grande maîtrise de cet outil très flexible qu’est l’acousmonium.
Chaque œuvre, par sa nature propre, remet à plat l’idée même de mise en espace. Ainsi, grâce à une connaissance approfondie de chaque composition, l’interprète prendra les décisions appropriées pour faire vivre l’œuvre dans l’espace du concert et pour emmener les auditeurs au plus proche de l’univers esthétique proposé. Que ce soit bien sur les paramètres d’espaces, mais aussi — et surtout — de dynamiques (tutti, solos…) et de couleurs (et, de ce point de vue, l’acousmonium de Futura est très riche, l’aspect à priori disparate des éléments qui le compose permet justement une grande liberté), ils sont autant de leviers qui permettent de vivre l’expérience riche et humaine que se doit d’être le concert électroacoustique.
Il s’agit là d’un des positionnements fort de cette manifestation, qui refuse le culte de l’innovation technologique comme principe (spatialisation automatisé, live-electronic interactif, etc.) au profit d’une « restriction » sur l’essentiel : la perception.
Et quelle meilleure situation qu’une salle plongée dans la pénombre, un ensemble de hauts parleurs disposés dans l’espace et une personne qualifiée pour faire sonner au mieux l’œuvre acousmatique. D’aucun diront qu’une automatisation de la mise en espace serait tout aussi appropriée, voire plus appropriée même car garante d’une certaine idée de perfection. A cela, le festival Futura répond par l’idée de l’expérience unique et non reproductible qui fait toute la valeur du concert. L’interprète — au cœur de l’action — est plus sensible aux « vibrations » du moment, à la concentration ou à la dissipation du public, et a donc toute latitude pour agir en conséquence.
Mais l’interprète acousmatique est aussi un artiste qui propose un point de vue personnel sur l’œuvre, qui en souligne la forme et la dramaturgie à travers des choix assumés, et qui donc prend ainsi le risque de déplaire. Cette prise de risque est aussi à mon sens ce qui contribue à la qualité de cette manifestation, et qui fait du concert un véritable moment de vie et non pas uniquement la présentation publique de la dernière œuvre d’untel ou d’untel.
Pour cette quinzième édition, le festival se proposait d’exposer, selon l’intitulé du programme, « une cinématique du son » à travers l’exploration de la durée.
L’appel d’œuvre avait posé comme première condition d’éligibilité aux compositeurs de proposer des pièces d’au moins vingt minutes. Pour Vincent Laubeuf, son directeur, il s’agit d’encourager les pratiquants du medium à retrouver ce goût du « long-métrage » (pour reprendre les termes de l’éditorial du catalogue) propre au genre acousmatique.
Afin d’illustrer ce propos, le festival à fait appel à quelques figures majeures, comme ce monstre sacré qu’est Pierre Henry, pour la reprise de son Intérieur Extérieur de 1995 brillamment interprété par Jonathan Prager.
On pouvait également retrouver un classique de Michel Chion, son fameux et fondateur Requiem de 1973, qui nous était donné à entendre dans une spatialisation de Nathanaëlle Raboisson, sans oublier deux importantes créations : celle de l’Autrichien Dieter Kaufman pour une Symphonie acousmatique en forme de regard rétrospectif sur son œuvre, et l’initiateur du festival, Denis Dufour, pour un hommage au maître Henry, avec les 80 minutes de son PH 27-80, entièrement composé avec des sons issus de la fameuse sonothèque du pionnier parisien.
C’était aussi l’occasion, comme à chaque édition, de mettre en lumière l’œuvre d’un compositeur important. Après Christian Zanési en 2007, c’était au tour cette année de Lionel Marchetti d’être largement programmé pour une série de concerts portraits répartis sur toute la durée de la manifestation. En guise de longs-métrages, on a pu y découvrir les deux heures de Adèle et Hadrien — Le Livre des vacances, pièce conçue par le compositeur lyonnais comme un « mélodrame à l’envergure opératique », et qui était donnée ici dans une lecture spatiale d’Olivier Lamarche.
Mais il ne faut pas oublier que Futura s’est également toujours donné pour mission de soutenir et d’encourager la jeune création internationale largement représentée cette année, avec des créations de Tomonari Higaki, Philippe Leguérinel, Pali Meursault, etc., dessinant une cartographie assez large du répertoire actuel, de l’écriture abstraite pure aux paysages sonores anecdotiques.
Depuis quelques années également, le festival explore les interactions entre le son fixé et l’image. Et cette année encore était proposée un programme de vidéo, avec notamment des propositions de jeunes vidéastes comme Sébastien Magne ou Frank Gourdien ; sans oublier la programmation d’un classique du cinéma muet, le Tartuffe de Murnau, mis en musique par Laurent Ballester.
Le festival s’est achevé par la traditionnelle nuit blanche, proposant une vingtaine d’œuvres de minuit à 8 heures du matin, histoire de voyager dans un demi-sommeil à l’écoute de musiques à l’écriture plus lâche et plus planante. Toute l’équipe d’interprètes se retrouve pour faire vivre ce moment particulier du festival, avant que tous, artistes et spectateurs, se réunissent une dernière fois autour d’un petit-déjeuner offert par le festival et la ville de Crest.
Seul manquait à l’appel le stage d’interprétation acousmatique proposé d’ordinaire la semaine suivant le festival et animé principalement par Jonathan Prager. Mais, pour des raisons de calendrier, il n’a pu avoir lieu cette année, ce qui est regrettable, la pédagogie et la transmission ayant également toujours été au cœur du dispositif Futura.
Cette seule réserve mise à part, on ne peut nier la qualité d’une telle manifestation, et la belle obstination de son équipe qui, contre vents et marées, garde le cap de l’exigence et de la qualité pour maintenir à flots, et non sans difficultés, une manifestation qui reste — hélas — assez unique.
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