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Les Archives Michael Gerzon et le projet Archival Sound Recordings de la British Library

Résumé

Cet article est un compte rendu des travaux réalisés actuellement (décembre 2008) dans le cadre d’un projet britannique de numérisation, conservation et diffusion des Archives Michael Gerzon, une collection d’enregistrements de concert (avec documentation) conservée par les British Library Sound Archive (BLSA). Cet article a pour principal objectif d’offrir des repères ou de servir d’étude de cas pour les institutions préoccupées par le sort de collections semblables ou qui ont déjà entrepris des projets de même nature, en plus d’offrir un aperçu des solutions adoptées pour résoudre certains des problèmes rencontrés lors de la réalisation du projet.

L’article commence donc par une présentation du contexte historique du projet : les British Library Sound Archive (BLSA), le programme de numérisation du JISC (Joint Information Systems Committee) et les objectifs généraux du projet Archival Sound Recordings (Archivage d’enregistrements sonores) ou ASR. La deuxième partie retrace l’histoire des Archives Michael Gerzon et décrit les méthodes d’enregistrement de leur créateur, pour ensuite se pencher sur la valeur pédagogique de cette collection, à la fois comme source de documents audio en ligne et comme témoignage unique des pratiques d’enregistrement et de la vie culturelle de la fin du XXe siècle. Dans la troisième partie, le responsable du projet, l’ingénieur de son Adam Tovell, présente les méthodes de numérisation de masse utilisées pour les étapes de transfert audio, de création de fichiers et de validation, et donne un aperçu des logiciels, supports et équipements utilisés pour le projet. D’autres tâches liées au traitement des Archives Michael Gerzon sont présentées brièvement dans la quatrième partie, notamment la sélection des contenus, le catalogage, la création de métadonnées, l’affranchissement des droits et l’interface de service. L’article se termine par une brève discussion sur l’avenir de cette ressource et de la collection dans son ensemble.

1. Historique de l’institution et du projet
2. Les Archives Michael Gerzon
3. Transfert, numérisation et supports
4. Autres tâches liées au projet
Notes
| Notice biographique

1. Historique de l’institution et du projet

1.1 Les archives sonores de la British Library

Michelangelo Staffolani and Eva Del Rey examine part of the Michael Gerzon Archive.
Michelangelo Staffolani et Eva Del Rey consultent les Archives Michael Gerzon.

Les archives sonores de la British Library (nommées ci-après « BLSA » pour British Library Sound Archive) ont été créées en 1955, sous l’appellation British Institute of Recorded Sound, par le regretté Patrick Saul pour remédier au fait qu’aucun musée ni bibliothèque britanniques ne voulait s’engager à conserver les enregistrements sonores publiés. L’institut a connu une certaine croissance et a donné naissance aux Archives sonores nationales (National Sound Archive), lesquelles ont été intégrées à la British Library en 1983. Ces archives comptent aujourd’hui parmi les plus vastes du monde; elles comprennent des millions d’enregistrements, publiés et inédits, conservés sur divers supports, du cylindre de cire au disque dur. On y retrouve principalement des enregistrements musicaux de toutes sortes, des œuvres dramatiques et littéraires, des enregistrements de sons d’animaux, des émissions radiophoniques et des documents d’histoire orale. Les collections ont été constituées à partir de sources diverses : dons et acquisitions de maisons de disques, enregistrements de stations de radio (en studio et enregistrements d’antenne), ethnomusicologues, musiciens, zoologistes, spécialistes et amateurs enthousiastes. Le personnel de la bibliothèque a lui-même fourni des milliers d’enregistrements de terrain, de concerts, d’œuvres dramatiques et de discours.

Le mandat des BLSA comporte trois volets : recueillir le patrimoine audio de la nation, en assurer la préservation, et en assurer l’accès à des fins pédagogiques et de recherche. Comme c’est le cas pour bien des institutions semblables dans le monde, l’acquisition de contenus dignes d’intérêt a bien souvent tendance à mobiliser les ressources disponibles pour la conservation et le catalogage, et l’accès aux collections est traditionnellement réservé aux consultations sur place, pour des raisons de droit d’auteur. Cette situation suscite la désapprobation croissante des étudiants et des enseignants qui résident à l’extérieur de la capitale (c’est-à-dire la majorité des gens).

Bien que des progrès considérables ont été accomplis en matière de préservation des anciens supports très fragiles, comme les cylindres et les disques acétates, la British Library doit maintenant s’attaquer à la question urgente de la conservation de supports beaucoup plus récents, notamment les bandes vidéo Betamax — un support utilisé conjointement avec la technologie d’encodage PCM pour réaliser des enregistrements numériques d’émissions de radio — et les cassettes DAT. Certes, l’ouverture en 2007 du Centre for Conservation de la British Library, spécialement conçu pour ce genre de projet et pourvu de studios et d’équipements de conservation et de numérisation très spécialisés, a contribué de façon importante au déroulement de ce projet, mais la croissance constante des collections combinée au gel ou à la réduction des budgets obligent les bibliothèques et les archives nationales à chercher de l’aide et des sources de financement à l’extérieur des réseaux habituels.

Par ailleurs, le secteur de l’éducation, qui compte parmi la clientèle de ces institutions, réclame davantage d’accès local direct au matériel de recherche (numérisé et en ligne), y compris les documents audio, à des fins pédagogiques et de recherche. Bien que l’accès en ligne à des contenus numérisés ne pose en soi plus de réel problème technique, la mise en place de tels services connaît toujours des difficultés en raison des droits de propriété intellectuelle et du fait que les bibliothèques, les archives et les institutions d’enseignement détiennent rarement les droits d’utilisation du matériel en leur possession. Au début des années 2000, il est devenu évident pour le milieu de l’enseignement supérieur que ces questions exigeaient une concertation à l’échelle nationale et le soutien du gouvernement. Un programme de consultation auprès des intervenants concernés a donc été mis en place pour trouver des solutions.

1.2 Le JISC et la stratégie de numérisation au Royaume-Uni

Ces développements ont mené à la mise en place du programme de numérisation du Joint Information Systems Committee (JISC), dont l’objectif principal est de « donner accès à des contenus uniques auparavant peu accessibles » des collections britanniques au secteur de l’éducation. Le JISC offre également une expertise en matière d’utilisation des technologies de l’information et des communications, en plus d’accorder du financement pour la création et la mise en place de ressources numériques en ligne tirées de ces collections d’enregistrements sonores, films, photos et documents imprimés autrefois inaccessibles. Ce programme occupe une place de premier plan dans la politique britannique en matière d’enseignement supérieur et de recherche, laquelle insiste sur l’importance d’offrir des contenus numériques aux futures générations d’enseignants et de chercheurs. De plus, le programme veut favoriser la création de nouveaux partenariats institutionnels, attirer des investisseurs dans ce champ d’activité, et contribuer à l’établissement de normes et de procédures en matière de numérisation de contenus qui assureront la compatibilité et l’interopérabilité au sein des milieux de l’éducation et de la recherche.

En plus d’être conforme aux objectifs pédagogiques du JISC, le projet a été conçu pour répondre aux objectifs plus généraux des BLSA en matière d’archivage et de préservation d’archives, notamment la création de copies de qualité « archives », en plus des versions mises en ligne (à résolution réduite). Numérisées et gérées selon les normes d’archivage de la British Library, ces copies d’archives sont conservées en permanence dans sa Bibliothèque numérique.

Est-il besoin d’insister, la concurrence pour les ressources financières est féroce en ces temps où les services traditionnels de bibliothèque sont forcés de s’adapter et de se repositionner dans la sphère de l’information électronique. Malgré tout, la British Library, qui compte un corpus de matériel de recherche inégalé, a su s’assurer le soutien du JISC pour toute une gamme de projets innovateurs, y compris la numérisation de journaux du XVIIe au XIXe siècle et de thèses britanniques, ainsi que le projet Archival Sound Recordings (ASR) des British Library Sound Archive.

1.3 Le projet Archival Sound Recordings

Ce projet nécessitait l’effectif suivant : la formation d’un comité de projet, du personnel temporaire spécialement embauché pour le projet, des membres du personnel régulier et des conservateurs-experts de la bibliothèque, des membres du département des services Web de la bibliothèque et du personnel externe embauché au besoin.

La phase 1 du projet (2005–2007) s’est terminée en 2007. Le site Web des archives ASR desservait alors plus de 160 collèges et universités au Royaume-Uni, moyennant une licence qui donnait ainsi accès à plus de 4 000 heures de documents sonores tirés des collections de la bibliothèque (près de 12 000 enregistrements individuels). Le contenu offert comprenait des enregistrements d’histoire orale, des enregistrements ethnographiques, des émissions radiophoniques de littérature et d’arts africains, des paysages sonores, et une collection documentant l’évolution des pratiques d’interprétation de la musique classique. Près de 1 500 enregistrements de sons d’animaux, de dialectes du Royaume-Uni et de vieux enregistrements sur cylindre ont été ajoutés par la suite et mis en ligne pour accès général sans licence.

La phase 2 (1) du projet, amorcée en 2007 et devant se terminer en mars 2009, complète la Phase 1 avec l’ajout de 6 500 heures additionnelles de contenu audio (31 000 enregistrements individuels) comprenant entre autres des entrevues avec des survivants de l’Holocauste, des entretiens sur les arts, des reproductions d’anciens catalogues d’enregistrements, des enregistrements de musique populaire africaine des années 1940–1950, des enregistrements de musique traditionnelle anglaise, et les Archives Michael Gerzon que nous décrirons de manière plus détaillée dans la deuxième partie de cet article.

La complexité des différents processus mis en place pour ce projet nous empêche de les présenter en détail, mais nous pouvons en résumer les principales étapes :

Pour plus d’information sur le projet, des documents peuvent être consultés sur les pages Web du JISC Digitisation Programme et des Archival Sound Recordings.

2. Les Archives Michael Gerzon

2.1 Michael Gerzon

Les notices nécrologiques de Michael Gerzon (1945–1996) disent de lui qu’il était « un des plus grands penseurs et auteurs du milieu de l’industrie audio » (2) et « un de ses érudits les plus prolifiques » (3). Richard Elen ira jusqu’à écrire que c’était « un génie » (4). Auteur de plus de 120 articles publiés portant sur divers aspects de la théorie audio, les technologies d’enregistrement et la reproduction sonore, diplômé en théorie quantique axiomatique, expert en psychoacoustique et en perception auditive, il a contribué de manière importante au développement de l’ambisonie. Co-inventeur du microphone Soundfield (le premier microphone permettant de réaliser des enregistrements directionnels en trois dimensions), il a également développé toute une série de procédés et dispositifs relatifs à l’audionumérique, au traitement de signal, à la théorie des systèmes, à la technique de filtrage correctif appelée « noise shaping » et bien d’autres domaines. Il est décédé en 1996 à l’âge de 50 ans, de complications liées à l’asthme aigu dont il a souffert tout au long de sa vie.

Ce qui était peut-être moins connu jusqu'à présent est son intérêt constant pour l’enregistrement de musique en direct. L’héritage de Gerzon à cet égard est l’un des points d’intérêt du projet ASR de la British Library.

2.2 Historique de la collection Gerzon

En 1966, alors qu’il était étudiant en mathématiques à l’Université Oxford, Gerzon a commencé à réaliser des enregistrements stéréo 1/4 de pouce dans les chapelles et les lieux de concert du campus d’Oxford et de la région, principalement des enregistrements d’ensembles vocaux et de musique de chambre réputés (Schola Cantorum of Oxford, Oxford Pro Musica, Oxford Early Music Group). Au même moment, il entreprenait une série d’enregistrements d’antenne (principalement de la radio de la BBC) de performances en studio ou en concert d’œuvres de compositeurs du XXe siècle qui l’intéressaient particulièrement (notamment Stockhausen, Webern, Varèse, Bartók, Berg et Stravinsky), et pratiquement toutes les émissions de musique contemporaine interprétée par l’orchestre symphonique de la BBC sous la direction de Boulez.

De la fin des années 1960 à 1976, il a été membre de l’Oxford University Tape Recording Society qui testait les théories et les hypothèses de ses membres concernant l’enregistrement stéréo et quadraphonique, les techniques de prise de son, la prise de son multicanal (surround sound) etc., notamment par des expériences pratiques et des enregistrements de concert (5) dont plusieurs font partie de la collection des BLSA.

De 1976 à 1981, ses enregistrements de concerts semblent moins nombreux, mais Michael a continué à réaliser des enregistrements d’antenne. Il semble également s’être ouvert à d’autres musiques, notamment le free jazz, les musiques new wave et avant-pop rock, et plus particulièrement à la musique improvisée. Après quelques enregistrements occasionnels en 1982, ses activités d’enregistrement ont gagné en intensité en 1984, au moment où Sony lançait son Walkman professionnel WM-D6C, que Michael a dû trouver plus commode à transporter, lui qui était plutôt frêle en raison de ses problèmes de santé.

Au cours d’un voyage à New York à l’automne 1984, Michael a effectué ses premiers enregistrements numériques sur bande vidéo Betamax avec la technologie PCM. À cette occasion, il a enregistré l’intégrale du festival La Monte Young de la radio WKCR-FM qui diffusait pour la première fois des douzaines d’enregistrements privés et des œuvres peu connues. L’année suivante, intéressé par la possibilité de compter sur quatre canaux audio distincts de haute qualité (deux canaux numériques sur la piste prévue pour l’image et deux canaux analogiques sur les pistes hifi Beta), Michael a commencé à réaliser des enregistrements en « double stéréophonie » (ou « quatre pistes »), en assignant les deux canaux principaux à la piste numérique tandis qu’une paire de micros PZM ou un signal provenant de la console de mixage était assigné aux pistes analogiques. Malgré les difficultés de synchronisation des pistes, cette technique permettait de procéder à un remixage ultérieur pour corriger des problèmes d’image stéréophonique ou améliorer l’intelligibilité lorsque l’équipement de sonorisation était de mauvaise qualité.

En 1988, il a commencé à réaliser des enregistrements DAT à l’aide d’un appareil portable Casio DA-1, habituellement avec une prise de son stéréo quasi coïncidante. L’année suivante, à l’aide d’un magnétophone quatre pistes Yamaha, il réalisa des prises de son semblables à celles réalisées sur Betamax, format qu’il abandonne alors. La plupart de ces enregistrements ont été réalisés dans les environs d’Oxford (Jericho Tavern, Old Fire Station, Holywell Music Room), bien que Michael se rendait fréquemment à Londres, enregistrant parfois dans deux lieux différents le même soir avant de rentrer chez lui à Oxford par autobus.

Michael a réalisé des enregistrements jusqu’à la fin de sa vie, mais leur nombre a diminué au début des années 1990, sans doute parce que ses recherches et la publication de ses écrits l’accaparaient davantage.

Le nombre peu élevé d’enregistrements surround dans la collection de la British Library peut surprendre, si l’on pense au rôle déterminant qu’a joué Michael dans le développement de la théorie de la prise de son multicanal, de l’ambisonie et du microphone Soundfield. Cette rareté s’explique peut-être par le fait qu’en dépit des progrès de la technologie d’enregistrement ambisonique, le matériel de reproduction n’était pas encore au point à l’échelle des produits destinés au grand public. La réalisation d’un grand nombre d’enregistrements surround aurait alors représenté un risque jugé inacceptable. La collection comprend quelques enregistrements surround, dont Adam Tovell parlera dans la troisième partie de ce texte, mais il semble que Michael n’a pas dévoilé les résultats de ses expériences ambisoniques ou qu’il les a transmis à ses associés pour approfondissement. La plupart de ses enregistrements de concert ont été réalisés en stéréo ou en « double stéréophonie » avec ses magnétophones quatre pistes et Betamax.

2.3 Méthodes d’enregistrement

Gerzon a été injustement dépeint par certains comme un « accro » de science et de technologie, avant tout obsédé par la précision technique. Ceux-ci seront sans doute surpris de lire sa définition de l’enregistrement idéal de musique amplifiée en concert : « capter une version idéale du son en direct, où les défauts techniques inhérents et les pertes d’intelligibilité sont réduites et atténuées pour l’écoute sur appareil de consommation courante, sans perdre les qualités d’“ambiance” et d’“atmosphère” qui confèrent son caractère unique à une performance musicale en direct. » Les méthodes d’enregistrement représentées dans les Archives Michael Gerzon illustrent ses propres solutions au problème principal, selon lui, de l’enregistrement de musique en direct : « l’incompatibilité apparente de deux exigences : la qualité technique et l’ambiance du “direct” ».

Michael Gerzon in April 1971 during a tetrahedral session
Michael Gerzon, pendant une séance d’enregistrement avec le tétrahèdre en 1971. Avec l’autorisation de Stephen Thornton. http://www.michaelgerzonphotos.org.uk

L’article de Gerzon intitulé « Stereo Recording of Live Amplified Music » (6) est incontournable pour quiconque étudie ses méthodes d’enregistrement. Dans cet article, Gerzon insiste sur l’importance d’atteindre cet équilibre — qui fait cruellement défaut dans de nombreux enregistrements clandestins, ou que les enregistrements multipistes des maisons de disques tentent d’imiter. Gerzon parvenait à cet équilibre par le recours à des techniques basées sur ses propres recherches en psychoacoustique et sur la perception directionnelle des sons de sources multiples. Il n’était pas tant préoccupé par la précision technique ou théorique que par l’intelligibilité et « la possibilité pour l’auditeur d’entendre la subtilité de sons de faible intensité en présence de sons de forte intensité. »

Loin d’être dogmatique, son approche tenait compte des contraintes acoustiques de la plupart des lieux de performance, et plus particulièrement du problème généralisé des images sonores multiples causées par la présence, dans un même environnement, d’instruments acoustiques et électroniques, d’amplificateurs de scène, d’un système de sonorisation et de moniteurs de scène. (7) Ces contraintes et toute une gamme de variables imprévisibles compromettent le travail des ingénieurs de son les mieux préparés; pourtant, les Archives Michael Gerzon démontrent que Michael savait trouver une solution pour pratiquement toutes les situations.

Malgré ces contraintes, ses méthodes apparaissent d’une simplicité désarmante. La technique qu’il utilisait le plus fréquemment était une adaptation de la prise de son par couple coïncident Blumlein : deux microphones Calrec CM1050C cardioïdes (non bidirectionnels) placés à angle de 120 degrés, et dont les capsules sont à une distance de 5 cm l’une de l’autre. Mais les enregistrements de cette collection illustrent bien d’autres approches, notamment des prises de son à quatre pistes combinant des couples quasi coïncidents et des microphones espacés (notamment des micros PZM), ou encore un mélange du signal provenant d’une prise de son stéréophonique et du signal de la console de mixage. La documentation technique qui les accompagne fait de la plupart des enregistrements des modèles d’une valeur inestimable pour les étudiants en techniques d’enregistrement.

Bien que le souci principal de Gerzon semble avoir été d’obtenir une image stéréophonique d’une intelligibilité satisfaisante, par le recours aux techniques et aux dispositions de microphones appropriées, il a parfois retravaillé des enregistrements déficients, ce qui permet aux étudiants de se familiariser avec des techniques inhabituelles comme la technique de filtrage correctif nommée « stereo shuffling » (8).

2.4 Importance culturelle et pédagogique

Les Archives Michael Gerzon ont une importance culturelle à bien des égards : d’un point de vue musical, historique et technique. Ces archives nous offrent la chance unique d’observer le travail concret d’un chef de file du XXe siècle en matière d’enregistrement, et ce, au moyen de l’une des plus vastes collections européennes d’enregistrements de concert inédits. Cette collection offre un témoignage objectif et inclusif, ce qui est plutôt inhabituel, de la création musicale de deux villes sur une période de trois décennies : plain-chant, musique vocale de la renaissance, musique dodécaphonique, musiques électroniques et électroacoustiques, jazz africain et musique improvisée, musiques psychédéliques et minimalistes, avant-pop, new wave, folk, et bien d’autres encore. Les étiquettes importaient peu pour Michael qui semblait intéressé uniquement par la créativité et la teneur artistique.

Si la collection offre une sélection plus ou moins restreinte d’instantanés de musiques pop-rock de gauche des années 80 et 90, elle donne une image beaucoup plus détaillée des développements de l’improvisation libre pour la même période, en particulier de ce que l’on pouvait entendre à la Jericho Tavern d’Oxford. La collection témoigne également des échanges entre les musiciens locaux et le milieu musical plus branché de la capitale. La possibilité de suivre, sur une base presque hebdomadaire, le travail de musiciens comme Pete McPhail et Matt Lewis est plutôt inhabituelle. Nous sommes témoins de succès et d’échecs, selon le jugement des musiciens eux-mêmes : par exemple une séance privée d’enregistrement interrompue parce que le musicien se sent distrait et peu inspiré; ou des moments captivants comme des duos électrisants de contrebasse et voix de Barry Guy et Vanessa Mackness; ou encore l’univers hypnotique de l’ensemble féminin Circle Cycle.

L’authenticité acoustique des enregistrements de Gerzon en fait des documents tout indiqués pour étudier la musique d’ensembles électroacoustiques comme l’AMM, lequel intégrait les sons ambiants que bien des enregistrements de concert cherchent à dissimuler. On peut en dire autant de ses enregistrements de musique pour chœur, réalisés de manière à rendre justice à l’acoustique naturelle d’une chapelle gothique plutôt que d’en compromettre les qualités par l’intermédiaire d’une console de mixage. La collection nous offre également la possibilité d’explorer l’effet des lieux et du public sur la musique : la chaleur et l’intimité de la Holywell Music Room où les musiciens se sentaient « chez eux »; ou encore l’hostilité suscitée par un ensemble de musique improvisée à l’occasion de la première édition (à la programmation douteuse) de l’Oxfordshire Jazz Festival.

Plusieurs enregistrements nous permettent d’entendre des collaborations ponctuelles, des groupes dont l’existence fut brève, et des performances inédites qui n’ont jamais été documentées par des enregistrements publics. On y retrouve également des documents témoignant des débuts de groupes qui devaient par la suite connaître un certain succès commercial : Shake Appeal (qui deviendra Swervedriver), My Bloody Valentine, Talulah Gosh.

La collection nous permet aussi d’étudier les techniques d’enregistrement dans divers contextes : musique acoustique avec et sans amplification, ensembles combinant instruments acoustiques et électroniques, avec et sans sonorisation. On peut comparer les résultats de différentes prises de son : différents types de microphones et de magnétophones, mélange du signal des micros avec celui de la sonorisation, différents lieux de performance, diversité des types de musique, combinaison de prises de son avec microphones espacés et microphones quasi coïncidents, etc.

3. Transfert audio, numérisation et supports

Les Archives Michael Gerzon sont l’œuvre d’une des personnes les plus prolifiques et les plus engagées dans le domaine de l’enregistrement en direct. Ces archives comprennent des milliers d’heures d’enregistrements réalisés au cours d’une période de trente ans. Le transfert individuel d’une telle quantité d’enregistrements nécessiterait un engagement d’une durée semblable et serait irréaliste d’un point de vue pratique. Heureusement, les technologies actuelles offrent des possibilités de transfert audio de qualité « archives » à une échelle encore récemment impossible à réaliser. Le transfert de cette collection, de supports désuets vers des fichiers numériques fiables, fut un des premiers projets — et sans doute le plus ambitieux — entrepris par les British Library Sound Archive dans le cadre d’un programme de numérisation de masse permettant le transfert et l’archivage simultanés d’une à quatre sources sonores distinctes.

3.1 Contenu

Si des considérations d’efficacité et d’échéancier en faisaient un candidat idéal pour le traitement de masse, la collection Gerzon est toutefois remarquable par sa diversité et l’uniformité des enregistrements réalisés sur un même type de support. Gerzon a employé une grande variété de supports sur ruban : supports analogiques (bobines 1/4 de pouce, cassettes à deux et quatre pistes) et supports numériques (Betamax et DAT). La grande diversité des contenus et des formats ne diminue en rien la constance de la qualité et de la structure de ces enregistrements. Aussi, malgré les difficultés liées au choix et à l’acquisition de l’équipement nécessaire au projet d’archivage, cette homogénéité que l’on voit rarement dans les archives personnelles aura tout de même facilité le déroulement du projet.

Le niveau de détail de la documentation accompagnant chaque enregistrement est également un trait inhabituel de cette collection. Une façon de faire adoptée alors qu’il était membre de OUTRS et qu’il a conservée tout au long de sa carrière, le catalogage minutieux des métadonnées — techniques et autres — était une caractéristique de l’approche de Gerzon au même titre que ses techniques de prise de son et d’enregistrement. Des descriptions détaillées des méthodes, de l’équipement et des supports utilisés accompagnent chaque enregistrement, ce qui permet de comprendre davantage les intentions de l’ingénieur. Cette documentation a joué un rôle déterminant dans la décision de transférer cette collection vers des formats numériques stables et durables.

Michael Gerzon’s detailed recording notes demonstrate his extraordinary prescience
Notes d’enregistrement de Michael Gerzon. [Click image to enlarge]

Le caractère exhaustif des enregistrements de la collection est également remarquable. Bien que les enregistrements en direct se limitent souvent aux parties les plus « cruciales » d’une performance en raison des contraintes de temps, de durée des bandes et de coûts, Gerzon semble avoir cherché à documenter toutes les facettes de l’événement dans la plupart de ses enregistrements, y compris les tests de son et les répétitions précédant une performance, l’ambiance et les sons du public après la performance. De plus, il semble évident que Gerzon choisissait ses rubans davantage pour leur qualité que leur coût ou leur disponibilité; il a su ainsi éviter les marques des années 1970 et 1980 sujettes à la dégradation ultérieure par la détérioration du liant qui retient les particules magnétiques sur le ruban (sticky shed syndrome). Ce souci pour la qualité ne se limitait pas à la prise de son, aux techniques d’enregistrement et à la documentation détaillée, mais concernait également la conservation et l’entreposage; toutes ses bandes étaient enroulées et emballées avec le plus grand soin pour garantir leur intégrité à long terme. L’effet d’écho, un problème fréquent des archives conservées sur bobine libre, est pratiquement absent de cette collection, possiblement en raison de l’entreposage des bandes avec la face magnétisée à l’extérieur (une théorie qu’il a expliquée dans « Minimising Print-Through », publié en 1972 dans la revue Studio Sound [9]). Aussi, le recours aux traitements courants pour la préparation des supports avant le transfert de masse (chauffage des rubans, rembobinage, remplacement des boîtiers de cassette, nettoyage, etc.) a-t-il été grandement réduit.

3.2 Logiciels et normes

Le transfert de la portion analogique des Archives Michael Gerzon est l’un des premiers projets des British Sound Library Archive réalisés avec le système Quadriga. Conçu de manière à assurer des transferts de masse de qualité « archives », Quadriga facilite la captation et le contrôle des signaux provenant de quatre sources analogiques distinctes en plus de produire des rapports de qualité XML pour chaque fichier numérisé. Le système assiste ainsi l’ingénieur responsable du transfert dans l’évaluation de la qualité du signal audio, en signalant par exemple les « événements » audio importants (clics, pertes de niveau, ronflement, erreurs d’azimut, etc.) à l’aide d’un système de seuils prédéterminés. Et contrairement aux systèmes d’enregistrement multipiste conventionnels, Quadriga permet la sauvegarde de fichiers et le changement de rubans pendant la numérisation sans interrompre les transferts simultanés, ce qui accroit le rendement sans compromettre la précision du processus de transfert.

Bien que le choix de la numérisation de masse permet d’accroître le débit de manière considérable, les Archives Michael Gerzon ont été traitées comme tout autre projet d’archivage : l’ensemble du signal audio d’origine analogique est encodé en fichiers MBWF à haute résolution 24 bits, 96 kHz (ce qui permet de créer des fichiers dont la taille excède la limite de 4 Go du format WAV et de stocker les métadonnées techniques dans la section bext de l’en-tête MBWF); les fréquences d’échantillonnage et les profondeurs de bits sont préservées pendant le transfert du signal audio vers le support numérique. Il faut préciser que la collection a été numérisée non seulement à des fins de préservation, mais également dans le but d’en faciliter l’accès en ligne pour les utilisateurs à distance. Chaque fichier « maître » produit au cours du processus de transfert est accompagné d’un « fichier de lecture » à haute résolution qui aura fait l’objet de traitements ultérieurs pour éliminer les silences inutiles et corriger les défauts résultant du transfert comme tel. Une version de ce fichier de lecture, dans un format de compression sans perte, est ensuite mise en ligne sur le site Web des Archival Sound Recordings, soit en format MP3 téléchargeable ou en format de lecture en continu WMA. En se basant sur un taux potentiel de transfert d’environ 24 heures de contenu audio par jour, en plus de la production des fichiers de lecture et d’accès public, on constate alors que les besoins en terme de stockage et de préservation de l’intégrité des fichiers sont considérables. Aussi, chaque fichier a été soumis à une somme de contrôle MD5 au point de captation du signal ou à la création du fichier, en plus d’être copié simultanément sur un disque dur externe USB et stocké sur un réseau 24 TB RAID. Chacun de ces fichiers est référencé au catalogue de la British Library au moyen d’un système d’identification de fichier produisant des codes d’identification uniques à 24 chaînes de caractères, comprenant des chaînes dérivées de la région d’origine de la conservation de l’objet sonore, de codes d’accès, de configuration de canaux et du statut du fichier. Les métadonnées et les informations de catalogage sont assignées à chaque indicatif de fichier et mises à la disposition des intervenants internes et des utilisateurs en général.

3.3 Équipement

Le choix de l’équipement utilisé par Gerzon témoigne de la nécessité de trouver un compromis entre les spécifications professionnelles et l’aspect pratique en raison de la fréquence et de la diversité des enregistrements qu’il réalisait. S’il a pu compter sur la disponibilité d’un équipement de grande qualité et de la proximité des lieux pour les enregistrements qui se déroulaient dans le cadre académique de l’Université Oxford et ceux qu’il effectuait à titre de membre de l’OUTRS, les enregistrements des années 1980–1990 ont été réalisés dans une grande variété de clubs et de salles de concert, aussi bien à Oxford qu’à Londres. Dans la plupart des cas, Gerzon utilisait du matériel portable de grande qualité, notamment un magnétophone Sony Professional Walkman WM-D6C (un des favoris en général pour les enregistrements de concert, notamment en raison de son caractère portable, de sa courbe de réponse en fréquence, de son rapport signal/bruit et de la stabilité de la vitesse de défilement du ruban [10]), un microphone stéréo à une prise et une unité de réduction de bruit Dolby B. Bien connu pour son enthousiasme à l’égard des nouvelles technologies audio; Gerzon adopta rapidement un des premiers magnétophones DAT portables, le Casio DA-1, qu’il employait avec une paire de micros cardioïdes de qualité supérieure.

Dans la plupart des cas, il a été possible d’utiliser des appareils professionnels modernes afin d’assurer la qualité de l’extraction du signal à partir des supports originaux (ici quatre Studer A807 à alignement identique, avec réglage manuel d’azimut et un appareil de commande à distance RS232, quatre platines cassettes Tascam 122 MKIII modifiées, avec réglage manuel d’azimut et un appareil de commande à distance à 25 broches parallèles, chaque magnétophone étant assigné à quatre convertisseurs analogiques-numériques Lake People F444). La diversité des supports de la collection Gerzon nous a toutefois obligés, dans certains cas, à délaisser les méthodes « reconnues » d’archivage.

Par exemple, la cassette quatre pistes : un format désuet dans le domaine de l’enregistrement audio, un support peu présent dans les collections de la British Library, et qui n’avait encore jamais fait l’objet d’archivage dans les BLSA. Dans les années 1980 et jusqu’à la fin du siècle dernier, les magnétophones cassettes quatre pistes ont connu une grande popularité comme outil d’enregistrement personnel; leur prolifération dans un marché concurrentiel a entraîné une augmentation du nombre de modèles, souvent incompatibles avec les différentes marques (et parfois avec les autres modèles d’un même fabricant), en raison des différences de systèmes de réduction de bruit ou des dispositifs de contrôle de la vitesse de défilement et de la hauteur. L’utilisation d’appareils datant de la même période que les enregistrements sur cassette quatre pistes a été nécessaire pour assurer la qualité des transferts. Gerzon utilisait habituellement deux magnétophones cassettes quatre pistes : un appareil MT44 de Yamaha offrant les fonctions standard d’enregistrement et de lecture (à 1‑7/8 po/s) et des dispositifs de réduction de bruit Dolby B et C; un appareil MT100 de Yamaha avec fonctions d’enregistrement et de lecture à « double vitesse » (à 3‑3/4 po/s) avec un dispositif de réduction de bruit DBX II. Les deux appareils étaient équipés de commandes réglables de la vitesse/hauteur. Heureusement, on peut encore trouver assez facilement des appareils cassettes quatre pistes. Un magnétophone Yamaha MT44 et un MT3X (entièrement compatible avec les fonctions du modèle MT100) ont été achetés d’occasion. Une fois remis en bon état de marche, ces appareils ont donné de bons résultats : quatre signaux mono synchronisés captés aux sorties de ligne de chaque appareil ont été numérisés et encodés en deux stems stéréo (reproduisant ainsi la configuration typique des pistes de la plupart de ces enregistrements, soit une paire de microphones et un signal provenant du système de sonorisation). Les flux audio sont horodatés (timestamp) et sauvegardés en fichiers numériques à haute résolution, ce qui offre la possibilité de les recombiner pour produire une représentation transparente de l’enregistrement original.

3.4 Supports numériques

Fervent partisan des nouvelles technologies, Gerzon s’est empressé d’explorer le potentiel des nouveaux supports, comme en fait foi son utilisation du format Betamax pour l’enregistrement numérique à la fin des années 1980. L’utilisation combinée d’appareils et de bandes vidéos de consommation courante et d’encodeurs PCM compatibles était une pratique courante à l’époque. Gerzon ira toutefois plus loin à l’aide de la nouvelle technologie Beta Hifi. Il utilisera les pistes linéaires PCM et Beta Hifi comme support de quatre flux audio simultanés, transformant ainsi un simple système de consommation courante pour en faire un enregistreur multipiste polyvalent. Pour ce faire, Gerzon utilisait un magnétophone Betamax Sony SL-HF100UB — l’un des deux seuls magnétophones compatibles avec Beta Hifi offerts sur le marché britannique — ainsi qu’un encodeur PCM Sony PCM501ES. Nous avons donc utilisé des appareils comparables pour transférer la portion Betamax de ces archives : deux appareils Sony SLO-1700 professionnels compatibles avec Beta Hifi (dont les têtes de lecture ont été réalignées pour être conformes à l’azimut utilisé pour les enregistrements originaux), et deux encodeurs Sony PCM701ES, ce qui nous a permis de configurer les huit signaux de sortie de manière identique aux autres enregistrements multipistes de la collection. Ces signaux sont prêts à être assemblés ultérieurement pour offrir une reproduction directe des enregistrements originaux.

Gerzon était également bien conscient des capacités limitées des premiers convertisseurs numériques à maintenir un rapport signal/bruit acceptable dans les fréquences élevées; il a donc eu recours à la préaccentuation EIAJ comme outil de réduction de bruit pour ses enregistrements numériques. La portion Betamax de la collection a donc été traitée de manière relativement simple en employant les sorties analogiques de chaque unité PCM, ce qui revient essentiellement à retirer la courbe d’accentuation du signal. Les enregistrements DAT ont toutefois été plus difficiles à traiter, notamment parce qu’ils se prêtent moins bien au traitement de masse.

Adam Tovell in the Centre for Conservation studio.
Adam Tovell dans le studio du Centre for Conservation.

Comme le support DAT est entièrement numérique, le processus d’extraction du contenu audio stocké sur DAT doit idéalement demeurer entièrement numérique, les transferts réalisés au moyen des protocoles SPDIF ou AES permettant d’éviter la dégradation inhérente au processus de transfert de signal analogique. La seule faiblesse de cette approche, pour les projets de numérisation de masse, est qu’elle repose sur l’utilisation d’un seul appareil agissant comme horloge maîtresse pour la synchronisation de toutes les données audio traitées. Bien que cette approche soit possible en utilisant certains appareils externes asservis et une horloge source stable, le système utilisé ici n’était pas équipé pour le transfert numérique synchronisé avec plus d’un appareil. Aussi, la technologie VDAT représentait une alternative pour réaliser des transferts efficaces à partir de DAT. Il s’agit d’une solution logicielle relativement spécialisée utilisant quatre platines DDS SCSI modifiées, et qui permet l’extraction de données PCM brutes directement des cassettes pour encodage à résolution identique (16 bits, 48 kHz) en fichiers WAV. Non seulement ce système facilite-t-il l’extraction de données des quatre lecteurs à des vitesses bien supérieures au temps réel, en plus d’éviter les risques d’erreurs d’interpolation et de produire des rapports d’erreur très précis pour chaque transfert, mais il permet également à l’ingénieur d’évaluer la qualité du signal audio et de transférer à nouveau les portions d’enregistrements problématiques sans entraîner de perte significative de productivité. Toutefois, l’adoption d’un processus entièrement numérique pose le problème suivant : l’extraction d’un signal audio préaccentué préserve la pré-accentuation de chaque fichier WAV extrait. Nous avons donc utilisé le logiciel d’égalisation Q10 qui comprend un filtre de désaccentuation très précis, mis au point par la firme israélienne Waves, au développement duquel Gerzon a lui-même contribué au cours de ses dernières années de travail comme consultant.

3.5 Présentation

La mise en ligne des archives Gerzon a été motivée par la conviction selon laquelle, en tant que projet d’archivage, le transfert et la présentation de la collection doivent demeurer objectifs. Aussi, l’intention était-elle d’offrir à l’utilisateur l’accès à toutes les composantes multipistes de la collection sous forme de stems individuels, ce qui permet d’éviter d’imposer un point de vue subjectif induit par les mixages et les traitements injustifiés. Nous espérons que cette approche fera de la collection un outil de recherche unique, en particulier dans le domaine de l’audio, qui offrira à l’utilisateur la possibilité de télécharger, étudier, comparer et manipuler chaque enregistrement et ses métadonnées.

Nous prévoyons l’adoption d’une approche semblable pour les enregistrements de la collection en format de type « surround » : douze enregistrements quatre pistes sur support compatible RM, un enregistrement deux pistes sur support compatible UHJ, et une vingtaine d’enregistrements d’antenne de la BBC en format quadraphonique matriciel (ces enregistrements étant actuellement exclus du projet pour des questions de droits d’auteur). Pour tous ces enregistrements, nous prévoyons rendre chaque stem individuel accessible au téléchargement, sous la forme de fichier mono standard, ce qui donne la possibilité à l’utilisateur d’expérimenter avec des logiciels de matriçage à l’extérieur de l’environnement d’archivage.

4. Autres tâches liées au projet

4.1 Faire valoir la pertinence de la collection

En plus de la valeur pédagogique du contenu, un certain nombre de facteurs ont dû être pris en considération dans la sélection des contenus destinés au projet ASR. Si l’on s’entendait sur le fait que le projet devait s’écarter de la pratique habituelle consistant à ne retenir exclusivement que des contenus libres de droits d’auteur, ce qui aurait grandement limité les possibilités, il était toutefois bien clair que les autorisations seraient pratiquement impossibles à obtenir dans le cas des contenus dont les détenteurs des droits ne verraient pas d’un bon œil ce projet ou auraient d’autres plans pour ces contenus. Et ce fut effectivement le cas pour une bonne partie des enregistrements d’antenne des Archives Michael Gerzon, enregistrements qui ont donc été exclus (voir section 4.6). D’autres facteurs ont tout de même joué en faveur du choix de la collection, notamment le fait que la succession Gerzon a cédé les droits mécaniques des enregistrements à la British Library, ce qui faisait tomber un des principaux obstacles concernant l’affranchissement des droits. Le fait qu’une bonne partie de la musique enregistrée était improvisée a sans doute aussi contribué à cette décision dans la mesure où les interprètes de ces enregistrements étaient bien souvent les seuls détenteurs des droits de propriété intellectuelle, ce qui contribuait à simplifier le processus de négociation.

Une des principales difficultés lorsque l’on cherche à obtenir du soutien pour une collection spécialisée consiste à faire valoir le caractère unique de la collection en même temps que son importance culturelle et sa valeur à long terme comme ressource pédagogique. Les réticences exprimées initialement, selon lesquelles une collection composée principalement d’enregistrements de musique obscure et « expérimentale » risquait de ne pas susciter suffisamment d’intérêt pour justifier sa place dans le projet, ont fait place à la reconnaissance de la valeur de la collection comme illustration des méthodes et pratiques d’enregistrement de musique en direct, en plus de l’importance culturelle et historique de ces contenus musicaux.

4.2 Catalogage et création de métadonnées

Le catalogage d’une collection d’enregistrements de cette ampleur représente une tâche colossale qui risque de monopoliser une part importante des ressources de n’importe quelle bibliothèque ou service d’archive. Mais il est aussi évident que l’absence de catalogue entraverait considérablement l’accès à de telles collections, ce qui serait contraire à l’objectif principal du projet ASR. De plus, le catalogage est essentiel à la création de métadonnées de qualité pour les supports numériques. Bien qu’une partie des Archives Michael Gerzon avait déjà été cataloguée avant que ce projet ne soit mis en branle, il en restait tout de même beaucoup à faire et la coordination de cette tâche avec la création de métadonnées était un des aspects les plus délicats de ce travail.

La collection Gerzon témoigne encore une fois de la vision de son créateur, lequel consignait par écrit tous les renseignements essentiels concernant les performances qu’il enregistrait : lieu d’enregistrement, date et même moment de la journée, personnel (si l’information était disponible) et instrumentation, ainsi que le matériel utilisé pour réaliser l’enregistrement. Dans certains cas, des croquis illustrant la disposition des interprètes et l’emplacement des micros accompagnaient les notes de Gerzon. Le processus de documentation s’en est trouvé grandement facilité, et en raison de l’importance de cette collection comme document illustrant les pratiques d’enregistrement de la fin du XXe siècle, nous avons décidé d’inclure tous ces renseignements techniques dans le catalogage et les métadonnées, ce qui est en soi une pratique inhabituelle.

D’autres facteurs rendent la création de métadonnées plus difficiles : la nécessité de produire plusieurs versions, de formats différents, de ce qui représentait déjà une quantité considérable d’enregistrements audio; la nécessité de coordonner la création des métadonnées avec le processus de numérisation et de transfert; enfin la nécessité de référencer, par un lien électronique, le nouveau support numérique au catalogue en ligne existant des BLSA, cette dernière question n’étant pas encore résolue au moment d’écrire cet article.

Les métadonnées, qui décrivent, contrôlent et donnent accès aux supports numériques, sont créées selon le schéma METS (Dublin Core avec fichier XML et BLAP-S intégré; il s’agit d’un protocole d’application pour le son numérisé de la British Library).

4.3 Affranchissement des droits de propriété intellectuelle

À n’en pas douter, il s’agit là d’une des questions les plus délicates pour tout projet de diffusion en ligne de contenu de propriété intellectuelle.

Si le traitement de la collection Gerzon devait se dérouler sans trop de difficultés à certains égards (voir section 4.1), la tâche de retracer les interprètes détenant des droits, dont le nombre s’élève à plus de 2 000, posait déjà un défi de taille, avant même que ne commencent les négociations. De plus, tous les enregistrements datent de plus de 12 ans, ce qui ne facilite pas la tâche de retrouver les participants, et les plus anciens datent tout de même de moins de 50 ans, et sont donc couverts par la période de validité des droits au Royaume-Uni. Par ailleurs, le fait que la majeure partie de la musique enregistrée ne soit pas de nature commerciale laissait penser qu’un nombre peu élevé d’interprètes seraient membres d’une association syndicale ou représentés par une agence. Malgré tout, Internet a fourni des renseignements pour bon nombre d’entre eux, et plusieurs avaient même une page MySpace. D’autres ont pu être retrouvés grâce à des sites Web spécialisés ou des organismes professionnels comme Jazz Services. Certains des interprètes retrouvés ont également transmis les coordonnées de leurs collègues. Bien qu’il a été possible de retracer plusieurs centaines d’interprètes de cette manière, le cas de nombreux autres interprètes demeure toujours problématique, en particulier ceux qui ont participé aux enregistrements les plus anciens.

L’enthousiasme et la collaboration de plusieurs des interprètes retracés, conscients de l’importance du projet et désireux d’apporter leur aide, offrent toutefois une note encourageante. Ceci a permis de procéder à une révision importante du processus d’affranchissement des droits pour la phase 2 du projet. La phase 1 concernait l’affranchissement des droits pour les membres institutionnels des milieux britanniques de l’enseignement supérieur. La phase 2 concerne l’affranchissement des droits (lorsque possible) touchant les contenus pour accès universel en ligne, c’est-à-dire offerts à tous les utilisateurs de toutes les régions du monde. Lorsque ces droits seront refusés, l’accès aux contenus sera offert uniquement aux utilisateurs du secteur britannique de l’éducation détenant un mot de passe. Cette solution est justifiée par l’ampleur du travail et des coûts associés à l’identification et la recherche des détenteurs des droits, lesquels demeurent les mêmes, peu importe l’approche adoptée, et l’augmentation considérable de la portée du projet lorsque l’accès universel est autorisé.

Un cadre de diligence raisonnable a été mis en place pour faire en sorte de documenter tous les processus d’affranchissement des droits de propriété intellectuelle, et pour s’assurer de la conformité aux lois et de la prise en compte de considérations éthiques concernant les œuvres dites « orphelines », c’est-à-dire celles dont les interprètes n’ont pu être identifiés.

4.4 Système de gestion d’accès

Malgré nos efforts pour affranchir les droits des contenus offerts en accès libre, nous nous attendons à ce que de nombreux détenteurs de droits donnent leur autorisation uniquement pour un accès réservé aux institutions d’enseignement détenant une licence. Afin d’assurer la sécurité et de protéger ces contenus pendant la lecture en flux continu et le téléchargement, l’accès et l’authentification des utilisateurs sont maintenant contrôlés de manière centralisée par un système de gestion d’accès britannique (11) qui emploie la technologie Shibboleth.

4.5 Développement de l’interface de service

La British Library a conçu le site Web ASR de manière à assurer sa compatibilité avec le système de gestion des contenus de la bibliothèque, tandis que les données relatives aux médias offerts en lecture continue et en téléchargement sont stockées sur des sites externes. Développée à une étape antérieure, en tenant compte de tests et des commentaires d’utilisateurs, l’interface XML a été développée conformément aux normes de compatibilité et de contenu établies par le W3C et l’Open Archives Initiative (12). Le site offre divers outils, dont une option « My Project » et des blogues d’équipe de projet. D’autres fonctions conformes aux spécifications Web 0.2 seront offertes ultérieurement, notamment la mise en réseau d’utilisateurs et l’assignation de descripteurs ou taggage des contenus. Dans le cas des Archives Michael Gerzon, les possibilités pédagogiques offertes par ces initiatives sont considérables, par exemple, la possibilité de procéder à des expériences de remixage des enregistrements multipistes.

4.6 Futur de la collection et conclusion

La pérennité du service est un des principaux objectifs du projet et une exigence du contrat. À cette fin, la British Library s’est engagée à maintenir le service en ligne au minimum pour une période de dix ans après l’échéance des phases soutenues par le JISC (mars 2009), date à laquelle le service doit compter sur ses propres ressources. Les BLSA continueront d’ajouter des contenus à la page ASR, notamment des contenus numérisés et de la documentation, lorsque les ressources et les autorisations le permettent.

Une partie importante des contenus audio des Archives Michael Gerzon a été exclue du projet ASR pour des raisons de droit d’auteur et de propriété intellectuelle; aussi n’est-il pas possible d’offrir ces contenus en ligne dès maintenant. Toutefois, tout le matériel exclu, y compris les enregistrements d’antenne de Michael, sera numérisé ultérieurement selon les mêmes normes de qualité. Tous les enregistrements des Archives Michael Gerzon et la majeure partie de ses articles publiés peuvent être consultés sur place par les détenteurs de carte de la British Library.

Nous souhaitons laisser le mot de la fin à un musicien que Michael Gerzon a enregistré à plusieurs reprises, le guitariste Richard Chapman :

Je garde de lui le souvenir d’un homme d’une extraordinaire gentillesse et très enthousiaste. Un peu indécis en apparence… il était toujours sympathique et prévenant. Très brillant, il parlait de musique et des concerts qu’il avait enregistrés avec beaucoup d’intelligence et d’enthousiasme. En fait, sa présence à un concert donnait à l’événement une certaine importance : il s’assoyait et écoutait, et vous aviez alors le sentiment de jouer devant un grand mélomane. Je me souviens aussi qu’il appréciait particulièrement les situations où l’ambiance était bonne et où l’on sentait qu’il y avait une bonne chimie; il était honnête lorsque les choses ne marchaient pas. Il cherchait avant tout la musique qui avait une teneur artistique. (13)

Pour en savoir davantage au sujet de la British Library et des British Library Sound Archive, consultez leur page Web respective. On trouvera également d’autres renseignements sur Michael Gerzon et sur le travail de l’Oxford University Tape Recording Society sur le site Web de Stephen Thornton consacré à Michael Gerzon. Pour en savoir plus au sujet des Archives Michael Gerzon à la British Library et le projet Archival Sound Recordings, communiquez avec :

Paul Wilson
The British Library Sound Archive
96 Euston Road
London NW1 2DB
Tél. : +44 (0) 20 7412 7446
pwilson@bl.uk

Principaux membres du personnel

Comité de projet : Richard Ranft (directeur BLSA), Adrian Arthur (directeur, services Internet de la British Library), Alastair Dunning (directeur du programme de numérisation du JISC), Kristian Jensen (directrice des collections britanniques de la British Library depuis juin 2008), Chris Clark (directeur BLSA, sélection et documentation), Joanna Newman (directrice, partenariats stratégiques de la British Library)

Équipe du projet ASR : Peter Findlay (directeur de projet), Michelangelo Staffolani (chef de l’équipe de projet), Eva Del Rey (rédactrice de métadonnées), Rehanna Kheshgi (adjointe à la numérisation et rédactrice de métadonnées), Melanie Bourne (soutien et rédaction de métadonnées), Ellen Hebden (responsable du soutien), Elisa Pettinelli-Barrett (adjointe de projet), Ginevra House (directrice de mission)

Équipe de conservation des BLSA : Paul Wilson (conservateur/catalogueur)

Documentation, BLSA : Antony Gordon (directeur, catalogage), Glen Thomas (catalogueur)

Équipe technique des BLSA : Adam Tovell (ingénieur, transfert et numérisation), Andrew Pearson (ingénieur, conception et entretien de l’équipement), Christine Adams (coordonnatrice de production)

Équipe des services juridiques de la British Library
Équipe de l’imagerie de la British Library
Bureau des programmes de la British Library
Bureau des acquisitions de la British Library

Notes

  1. Joint Information Systems Committee (JISC), « Archival Sound Recordings 2 » (1er janvier 2007 — 1er janvier 2009), http://www.jisc.ac.uk/whatwedo/programmes/digitisation/asr2.aspx#downloads [consulté le 18 décembre 2008].
  2. Audio Signal, « Michael Gerzon Archive » [site Web], http://www.audioignal.co.uk/Gerzon archive.html [consulté le 18 décembre 2008].
  3. John Borwick, « Michael A Gerzon » (article nécrologique), Grammophone (août 1996). Reproduit sur le site Web Audio Signal, http://www.audioignal.co.uk/MAGobit.html [consulté le 18 décembre 2008].
  4. Waves Audio [site Web], http://www.ambisonics.net [consulté le 18 décembre 2008].
  5. Steven Thorton, http://www.michaelgerzonphotos.org.uk [consulté le 18 décembre 2008].
  6. Michael Gerzon, « Stereo Recording of Live Amplified Music », Proceedings of Reproduced Sound 3 Institute of Acoustics Conference, Windermere, (5-8 novembre 1987), pp. 69-87.
  7. Michael Gerzon, « The Politics of P.A. », Re Records Quarterly Magazine 1/4 (mai 1986), pp. 21-25.
  8. Audio Signal, « Stereo Shuffling: New Approach — Old Technique », Studio Sound (juillet 1986). Reproduit sur le site Web Audio Signal, http://www.audioignal.co.uk/Resources/Stereo_shuffling_A4.pdf [consulté le 18 décembre 2008].
  9. Michael Gerzon, « Minimising Print-Through », Studio Sound (septembre 1972). Reproduit sur le site Web Audio Signal, http://www.audioignal.co.uk/Resources/Print-through_USL.pdf [consulté le 18 décembre 2008].
  10. « Sony WM-D6C Stereo Cassette-corder Operating Instructions », site Web de Sony, http://www.docs.sony.com/release/WMD6C.pdf [consulté le 18 décembre 2008].
  11. Joint Information Systems Committee (JISC), « UK Federated Access Management », http://www.jisc.ac.uk/federation.html [consulté le 18 décembre 2008].
  12. Open Archives Initiative, http://www.openarchives.org [consulté le 18 décembre 2008].
  13. Correspondance avec l’auteur, mai 2008.
Concordia University / Université Concordia

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