[Rapport]
Cream Test Centrifuge
SAT — Société des arts technologiques (Montréal)
21 novembre 2002
Le 21 novembre dernier avait lieu une performance sonore fort intéressante à la Société des arts technologiques (SAT), sise sur la rue Ste-Catherine à Montréal. Le groupe Cream Test Centrifuge, composé de l'artiste du son Sarah Peebles, ainsi que du compositeur et musicien chevronné David Toop, du guitariste Nilan Perrera et du concepteur de son Darren Copeland, a présenté une série de pièces sonores composées dans le cadre de la diffusion de deux disques compacts intitulés respectivement Insect Groove, et 108 ? Walking through Tokyo at the Turn of the Century.
Effectuant un travail d'équipe où la symbiose était de mise, Mme Peeble a su nous faire pénétrer dans un univers sonore très particulier, où se sont entremêlées des performances de jeu en direct avec des éléments enregistrés préalablement. Le résultat fut une immersion totale dans un paysage sonore fictif et virtuel au beau milieu d'un espace pourtant dénudé. En effet, Sarah Peebles a perfectionné, au fil des années, une technique japonaise de performance sonore appelée shô et utilisant un instrument du même nom, sorte d'organe à tuyaux se voulant une extension de la bouche, et qui vise entre autres à s'approprier un espace et à le rendre en quelque sorte tangible aux auditeurs. Elle a aussi développé une démarche créatrice axée sur la notion d'écologie sonore, s'intéressant entre autres au microcosme des insects.
Ses compositions découlent d'un traitement par ordinateur Macintosh (avec le logiciel Max, dont la compagnie faisait partie des publicitaires) de séquences enregistrées et aussi de sons créés par mimétisme. Mme Peebles est devenue maître dans l'art d'orchestrer la diffusion sonore en direct de ces sons préparés à l'avance (composés probablement en partie de boucles ou loops), en même temps que ses collaborateurs manipulent et jouent d'instruments acoustiques de nature conventionnelle ou manipulent une panoplie d'objets triés pour leur qualités sonores particulières. Il en résulte une performance d'allure naturaliste de prime abord, où l'on se croit tout à coup transporté au beau milieu d'une forêt exotique où tout peut arriver. La qualité de l'expérience tient au fait que Mme Peebles a su insuffler à ses compositions la complexité inhérente aux écosystèmes dans la nature, et ce, même si une bonne partie des sons sont complètement inventés.
D'origine américaine, et maintenant installée à Toronto, elle laisse s'insinuer dans le tissus de ses compositions des éléments faisant référence à des environnements urbains, ou encore à la nature ondulatoire de l'émission sonore comme telle (comme par exemple à des enregistrements radiophoniques). Le résultat donne lieu à un environnement inattendu, souvent habité d'un bestiaire imaginaire tout en mettant l'accent sur l'expérience de l'auditeur. Dans ce cas-ci, et grâce à la collaboration de son collègue David Toop, nous avons eu droits, à certains moments de la présentation, à la narration d'histoires inventées de toutes pièces par ce dernier, et relatant les aventures de dieux et de déesses de la lumière et du son, figures métaphoriques de ces démons de la nuit que sont les sons. La fable des araignées-robots traduisait aussi une vision critique de l'humanité face à la création et au patrimoine (sonore, naturel et culturel). L'ensemble de l'œuvre semblait vouloir s'articuler autour d'une esthétique tournée vers l'opacité du monde et de ses mystères, et d'une philosophie inspirée de l'Orient qui met en relief une certaine phénoménologie de la perception sonore qui valorise le corps, son environnement et sa transcendance créatrice. C'est à travers des perceptions sonores subtiles et gigantesques à la fois que l'auditeur est convié à puiser à même les ressources de son inconscient. Mais c'est surtout dans la durée que cette œuvre manifeste sa complexité, car une oreille non avertie pourrait trop facilement faire référence à du bruitage sonore de films. Les pièces de durée variable (allant d'un peu plus de 2 minutes à environ 7 minutes) se sont succédées sans intervalle ou pause, et non ont vraiment laissé croire à un voyage dans une contrée lointaine, dans une jungle mythique. L'auditeur s'est vu assailli de toute part par des phénomènes animaliers étranges, rappelant insects, grenouilles et oiseaux ébouriffés. Nul doute que nous étions transportés dans une nuit bariolée, sans cesse sur le qui-vive. Ces émanations sonores, qui tantôt nous amenaient vers des contrées lointaines, tantôt nous ramenaient étrangement au plus familier de la vie contemporaine, semblaient devenir le point de rencontre de l'Orient ancestral et de l'Occident moderne. Pour ce faire, ses collaborateurs ont fait preuve d'une parfaite maîtrise de leur art. David Toop jouait de sa flûte et d'autres objets pour produire les bruits infimes et singuliers que l'on retrouve habituellement dans la nature. Il en était de même pour le guitariste Nilan Perrera qui, armée de sa guitare et d'un système d'amplification relié à son pied dénudé nous a ensorcelé avec des ondes virtuoses. Un peu plus en retrait, le concepteur Darren Copeland s'est acquité d'une régis sams défaut, me sembla-t-il. La scéance d'un peu plus d'une heure se déroula très rapidement, transportés que nous étions sur le moment présent.
L'environnement sonore comme tel s'articulait dans un schéma symétrique, centré autour de la performance des artistes (sauf pour le régisseur). Donc, autour de Peebles, Toop et Perrera les spectateurs étaient alignés en deux demi-cercles, en avant et en arrière. Tout autour dans l'espace étaient distribués les enceintes acoustiques, au nombre de huit. Ce système, bien que suffisamment performant, n'allait pas sans créer certaines réverbérations dans l'espace, surtout lorsque l'on jouait de la flûte ou du shô à un volume plus élevé. Il faut attribuer cette défaillance sans doute au minimalisme des installations de la SAT; toutefois, on avait érigé de longs rideaux épais afin d'encercler l'aire de performance, et les plafonds assez hauts et bétonnés permirent une acoustique correcte. L'espace dénudé, par contre permettait à l'imagination de l'investir facilement, comme le veulent tous ces nouveaux espaces de type "loft". La distribution symétrique de l'audience n'allait pas sans quelques difficultés : d'abord parce que les spectateurs assis sur les côtés se voyaient bombardés par les émissions sonores des enceintes latérales, et ensuite parce que l'environnement sonore comme tel ne permettait pas toujours cette symétrie. En effet, des sons qui devaient être joués " devant " pour les uns devenaient " derrière " pour les autres. L'accent avait donc été mis sur la performance sonore en direct de Insect Groove, quoique trois moniteurs diffusaient en boucle la vidéo transmettant les images liées à la composition 108 ? Walking through Tokyo at the Turn of the Century. Cette installation était aménagée dans le café à l'entrée, et, bien que les promoteurs de l'événement eussent fait mention de cette présentation, elle passa quelque peu inaperçue. Il faut dire que l'audience d'un certain âge (de la trentaine à la soixantaine) se composait surtout d'initiés, semblait-il, mis à part quelques étudiants. Il s'agissait d'un événement de petite envergure (je veux dire : petite audience) qui semblait chaudement recommendé. La salle, malgré le peu de places, fut tout de même comble, et l'audience ravie, à en croire par les applaudissements. Pour ma part, quelque temps après l'événement, j'ai contacté la SAT afin de me procurer le CD de Insect Groove qui avait été lancé ce soir-là; peine perdue, on n'a pas répondu à mon courriel, même après m'être présentée en personne afin d'acheter le disque. J'ai essayé d'obtenir de l'information à savoir où ce CD pourrait être distribué à Montréal, mais on m'a laissé sans réponse. Dommage, l'événement s'était révélé fort convaincant.
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