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Éditorial

eContact! souligne son dixième anniversaire avec la publication d’un numéro spécial. Depuis dix ans, eContact! publie quatre numéros thématiques par année.

À l’instar de tout projet visant à souligner un anniversaire, celui-ci jette un regard sur le passé. Mais on ne saurait trouver le passé de eContact! dans son tout premier numéro, qui date de dix ans, pour la simple et bonne raison que eContact! n’a toujours été que le reflet de la communauté des praticiens de l’électroacoustique au Canada, à divers moments de son évolution. eContact! a donc eu bien des prédécesseurs, chacun d’entre eux se métamorphosant au gré des besoins de la communauté. Avant eContact!, il y a eu le bulletin imprimé Contact! (1988–97), le Bulletin CEC Newsletter (1986–88) et, au tout début, le Bulletin CECG/GEC Newsletter (1984–86). [1]

eContact! a connu une certaine croissance au fil des ans et propose des thématiques plus variées qu’il y a 25 ans. Ceci s’explique en bonne partie par la croissance de la communauté elle-même que la publication entend représenter. eContact! est donc le reflet de son milieu; son contenu et son point de vue ont changé à la lumière des besoins, enjeux et préoccupations de la communauté qu’elle dessert.

Le Projet d’archivage Concordia (2007–2008)

À l’été 2007, la CEC a entrepris un important projet de récupération, restauration, numérisation et archivage d’une collection d’œuvres électroacoustiques (ou qui s’y apparentent) conservées à l’Université Concordia à Montréal. Créée dans les années 1970 à l’initiative de Kevin Austin, cette collection s’est considérablement enrichie dans les années 1980 et 1990; aussi cette collection reflète-t-elle bien les intérêts, les changements, les défis et la croissance de la communauté électroacoustique élargie, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde.

Kevin Austin nous offre une brève introduction et une mise en contexte : « Les Archives électroacoustiques de Concordia : de quoi s’agit-il? » et « Histoire, technologies, performances : une ressource de premier plan pour la recherche sur l’électroacoustique au Canada », deux textes qui peuvent s’avérer fort utiles pour qui s’apprête à plonger dans les « profondeurs » de ce projet à niveaux multiples.

Rendu possible grâce à l’aide financière de Patrimoine Canada, par l’entremise du Fonds des partenariats de son programme Culture canadienne en ligne, le Projet d’archivage Concordia (PAC) comprend trois volets interdépendants. Certaines des œuvres de la collection qui ont été numérisées sont présentées en ligne; une série de modules d’apprentissage en ligne aborde divers aspects historiques et techniques de l’électroacoustique à l’aide d’exemples tirés de la collection; un numéro spécial d’eContact! propose des articles portant sur l’archivage en général et des entrevues avec des praticiens actifs depuis les années 1970–80.

La complexité du sens

On ne saurait mesurer l’importance d’une collection au nombre d’œuvres qu’elle contient; il ne s’agit là que d’une couche de sens d’un tout qui est passablement plus complexe. Les archives sont une forme vivante de documentation et, en tant que telle, le reflet des conceptions artistiques et des procédés techniques caractéristiques de l’époque à laquelle les œuvres ont été composées.

À cet égard, les modules d’apprentissage en ligne du PAC sont particulièrement éloquents. Le premier module, « La collection dans l’histoire de l’électroacoustique », met en évidence certains développements historiques particuliers qui ont préparé en quelque sorte l’avènement d’un âge où les différentes pratiques électroacoustiques ont davantage en commun qu’auparavant. Le deuxième module, « Écoute dirigée de la collection », illustre bien la complexité de la collection que trahissent les différences d’époques et de technologies employées pour la création de ces œuvres. À l’aide de courtes vidéos, le troisième module nous permet de jeter un coup d’œil sur « Le processus d’archivage de la collection ».

Préservation, archivage, enregistrements…

Le processus d’archivage est également un sujet d’une grande complexité. S’il peut sembler évident de déclarer que le processus de transfert et de restauration doit être neutre et transparent, encore faut-il s’entendre sur la définition de l’« authenticité » de la restauration, ce qui n’est pas une mince affaire! Et l’on ne saurait trancher la question de façon définitive; la recherche sur le sujet se poursuit en parallèle avec le développement des technologies employées pour la restauration des œuvres, de telle sorte que ce qui passe aujourd’hui pour une restauration « authentique » ne sera pas forcément jugé de la même manière plus tard. Il y a trente ans, Michael Gerzon, la référence dans le milieu de l’enregistrement sonore, s’écriait : « Ne détruisez pas les archives! » parce qu’il entrevoyait déjà le jour où des technologies grandement améliorées nous permettront de récupérer davantage d’information contenue dans les enregistrements d’archives. Cet article circule depuis ce temps dans les milieux consacrés au son et aux technologies du son, et nous avons pu obtenir l’autorisation de la famille Gerzon de le publier dans le présent numéro. C’est que, comme le souligne Rob Poretti dans la nouvelle préface de l’article, les propos de Gerzon sont encore d’une grande pertinence aujourd’hui.

L’« authenticité » est au cœur du projet InterPARES (International Research on Permanent Authentic Records in Electronic Systems) sous la direction de Luciana Duranti de UBC. Ce projet étudie les problèmes relatifs à l’authenticité de l’archivage. L’article « Archivage d’Obsessed Again… de Keith Hamel » donne un aperçu de la diversité des problèmes rencontrés et des solutions étudiées. La lecture de cet article nous amène à constater que si les auteurs ont pu bénéficier du temps et des ressources nécessaires pour poursuivre leurs travaux, il en va autrement pour la plupart des compositeurs de musique électroacoustique — et c’est le cas également pour bien des collections d’œuvres électroacoustiques — pour qui les contraintes économiques ne sont pas sans conséquence sur la préservation et l’archivage de leurs œuvres. (2)

Peu importe la personne qui réalise l’archivage et les moyens à sa disposition, quelques mesures simples peuvent contribuer à minimiser les pertes et à améliorer la longévité du document et les possibilités de restauration de l’œuvre. Dans l’article « Documentation and Publication of Electroacoustic Compositions at NEAR », Hannah Bosma suggère aux compositeurs de préparer une « documentation exhaustive de l’œuvre ». Une documentation détaillée à niveaux multiples est l’une des mesures les plus importantes que peut prendre un compositeur pour assurer la longévité d’une œuvre, mais comme le savent les archivistes, la plupart des compositeurs laissent derrière eux des traces incomplètes et fragmentaires concernant les diverses étapes d’enregistrement, de synthèse, de traitement, de montage et de mixage de leurs œuvres. À cet égard, Paul Wilson et Adam Tovell auront été plutôt chanceux. « Les Archives Michael Gerzon et le projet Archival Sound Recordings de la British Library » nous fait connaître le travail méticuleux de Michael Gerzon, « un des plus grands spécialistes de l’audio au XXe siècle » qui a laissé une documentation exhaustive au sujet des milliers d’enregistrements qu’il a réalisés de 1966 à 1996, dans les lieux les plus divers et d’une grande variété de genres.

La documentation n’est qu’une des questions qu’aborde Dennis Báthory-Kitsz dans son article « Ne pas dépendre du futur, tant que nous n’y sommes pas ». Les défectuosités mécaniques des supports et la désuétude de l’équipement sont autant d’obstacles que doivent surmonter les archivistes et les spécialistes en mastering. Néanmoins, l’attitude selon laquelle l’archivage d’une œuvre sur un support appelé à devenir désuet est préférable à l’absence d’archivage est toujours valable, à quoi l’on ajouterait que l’archivage en copies multiples des diverses étapes de réalisation d’une œuvre, sur des supports de types différents, peut aussi contribuer à sa restauration, en plus d’offrir une documentation intéressante du processus de création.

On trouvera également dans ce numéro des présentations sommaires du contenu et des activités d’archivage de plusieurs collections différentes, dont le « Projet d’archivage Concordia (PAC) ». L’Université de Toronto a été la première université canadienne à ouvrir un studio de musique électronique en 1958 (UTEMS). Dennis Patrick trace le portrait des compositeurs qui ont fréquenté ce studio dans « La bibliothèque de bandes du studio UTEMS ». En 1964, l’Université McGill a emboîté le pas à l’Université de Toronto et alcides lanza présente la collection des œuvres qui y ont été réalisées dans « Projet d’archivage EMS ». La « Collection de musique électroacoustique latino-américaine » a été archivée récemment par Ricardo Dal Farra à la Fondation Daniel Langlois de Montréal, alors que le projet de « Les archives du Center for Contemporary Music » est présentement en cours de réalisation au Mills College, sous la direction de Maggi Payne.

Toutes ces collections témoignent des changements survenus, tant sur le plan esthétique que technologique, dans la communauté élargie de l’électroacoustique, au Canada et ailleurs dans le monde. Par exemple, la collection de McGill permet de suivre les changements en matière d’équipements de studio, des instruments de Hugh Le Caine aux premiers synthétiseurs numériques et aux studios entièrement numériques. Les Archives électroacoustiques de Concordia — et l’article « CECG/GEC et ÉuCuE : notes de programme, partitions, et plus encore… » qui nous fait remonter dans le temps jusqu’à 1982 — donnent un aperçu des changements qu’a connus la pratique de la performance de musique électroacoustique : sur bande, « live electronics », mixte avec instruments, etc.

Entrevues

Hélène Prévost et Mario Gauthier ont réalisé des entrevues avec des acteurs importants du milieu de la musique électroacoustique des années 1970 et 1980 dans le but de recueillir de l’information de première main pour alimenter les modules d’apprentissage en ligne et la rédaction de documents d’accompagnement des œuvres de la collection. Ces entrevues permettent en quelque sorte de jeter un coup d’œil de l’intérieur sur l’émergence et le développement de la pratique électroacoustique au Canada sous divers angles : artistique, social, professionnel et technologique.

Un bon nombre d’organismes en lien avec l’électroacoustique — production, promotion, soutien, etc. — ont vu le jour au Canada pendant cette période. Kevin Austin et Jean-François Denis nous parlent de l’établissement et de la croissance des archives électroacoustiques de Concordia, ainsi que de la situation de l’électroacoustique au Canada au moment de créer la CEC en 1986. Yves Daoust relate les débuts de l’ACREQ (fondée en 1978) et Alain Thibault parle de son développement ultérieur. En 1989, Jean-François Denis et Claude Schryer créaient l’étiquette empreintes DIGITALes, une voix unique dans le monde de l’électroacoustique.

La création de ces organismes, et de nombreux autres, est liée à la prolifération des pratiques et des activités relatives à l’électroacoustique. Aux courants dits « classiques » de l’électroacoustique représentés par des artistes tels que Robert Normandeau (acousmatique) et alcides lanza (musique électronique), sont venues s’ajouter diverses pratiques ayant recours aux technologies électroacoustiques de différentes manières : collaborations interdisciplinaires et improvisation (Thibault, Charles de Mestral / Sonde, Austin et Denis / CECG/GEC), paysage sonore et écologie acoustique (Schryer), vidéomusique, un concept né du travail de Jean Piché.

À travers une discussion de leur propre pratique et de leurs œuvres, les personnes interviewées relatent des anecdotes personnelles et partagent leur appréciation particulière de l’évolution de l’électroacoustique au Canada. (3)

Conclusion

Nous espérons que, comme nous, vous apprécierez la richesse de ce projet qui met en évidence les multiples facettes du développement de l’électroacoustique au Canada et ailleurs dans le monde, des années 1970 jusqu’à ce jour.

Au nom de la CEC et eContact!, nous — Yves Gigon et jef chippewa, administrateurs de la CEC et rédacteurs de eContact! — souhaitons remercier tous les auteurs, contributeurs, collaborateurs, traducteurs, réviseurs, correcteurs d’épreuve, amis, sympathisants et, bien évidemment, les lecteurs, qui ont tous contribué au développement de eContact! depuis une décennie. Nos tenons à exprimer nos remerciements particuliers à Ian Chuprun, l’administrateur de la CEC qui a su piloter la transformation du bulletin imprimé Contact! (1988–97) en eContact!, à un moment de grandes turbulences dans le monde des organismes artistiques au Canada, qui fut aussi le moment où la CEC est devenue « virtuelle ».

Pour terminer, nous voulons exprimer notre plus sincère gratitude à l’Université Concordia pour le soutien inestimable qu’elle a offert à la CEC et eContact! au fil des ans. L’existence de cette collection, qui prend maintenant une nouvelle forme, aurait été impensable sans le soutien que l’Université Concordia a apporté à la pratique de l’électroacoustique au Canada. C’est avec enthousiasme que nous entreprenons une nouvelle décennie de collaboration.

Nous espérons que vous apprécierez cette collection que nous avons le plaisir de rendre accessible au grand public par l’entremise du Projet d’archivage Concordia.

jef chippewa, 19 décembre 2008

Notes

  1. On trouvera ces publications dans AVA (Archive-Vault-Archive), une nouvelle initiative de la CEC qui vise à rendre publics « des textes, graphiques et images provenant de monographies, publications et documents d’archive, importants aux yeux de la communauté électroacoustique internationale, et qui avaient disparu ou qui n’avaient jamais été rendus publics. »
  2. Voir par exemple, John Palmer, « In Conversation with Nuria Schoenberg Nono », eContact! 10.2 — Interviews (1), pour des renseignements sur les activités de la Fondation Luigi Nono.
  3. En complément à ces entrevues, voir eContact! 10.2 — Interviews (1), en particulier l’entrevue avec Ned Bouhalassa où les personnes interviewées « relatent leur première rencontre avec l’électroacoustique, donnent des renseignements et partagent des anecdotes sur les activités de plusieurs organismes canadiens, en plus de parler de leur engagement et de leur contribution dans le développement de la communauté électroacoustique canadienne. » (« Editorial », eContact! 10.2)
Concordia University / Université Concordia

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